MODERNITÉ, notion de
La modernité contemporaine
Ce que d'aucuns appellent la postmodernité s'inscrit comme l'une des figures, après et avant d'autres, par lesquelles est aménagé le malaise (pour reprendre le terme de Freud) avec les masques qui le rendent vivable. La modernité est ce temps où toute identité est minée par le sentiment de l'aléatoire, et où deviennent réactionnellement possibles aussi bien les jubilations hédonistes devant les décombres de toute sacralité que les tentations désespérées de retrouver la minéralité des insertions et des certitudes anciennes.
Le monde moderne se définit comme celui de l'égalité entre les hommes, tous également libres. Cette notion d'égalité implique à la fois la lutte de tous contre tous et l'amour de chacun pour tous. L'autre y est perçu simultanément comme le concurrent dont le désir me menace et qui restreint mon espace de puissance et de liberté, et comme mon semblable, mon frère. D'où cette question politique et éthique : au cœur de la modernité, comment vivre ensemble ? Comment instituer, contre les dérives égoïstes, la loi commune ? Comment obtenir que la règle démocratique ait cette sacralité qui fut celle des prêtres et des rois, alors même que cette règle est définie, dans son essence, comme purement contractuelle ?
La modernité voit aujourd'hui le lien social de l'universalité citoyenne d'hier faire place à l'esthétisme du moi. La chose publique est vécue avec le sentiment de sa facticité, dans ce qu'il implique d'indifférence, d'acceptation passive ou de rejet radical. C'est la vie privée, dénommée désormais lieu de l'authenticité, qui devient sacrée. Seul vaut ce qui vaut pour soi et ses « familles ». L'universel laisse place à l'arc-en-ciel des particularités juxtaposées. Le tissu social se décompose en microsolidarités et l'on assiste à un repli sur des valeurs traditionnelles postmodernisées (nationalisme, ethnisme, fondamentalisme religieux). Chantre de l'individualisme, la société moderne pare le quotidien d'une valeur que les sociétés anciennes ignoraient. Un quotidien voué à l'individu privé, qui aménage les conditions de sa satisfaction. Au fur et à mesure que s'effilochent les liens avec le religieux et le sacré, la recherche du bien-être matériel, de la jouissance et du bonheur deviennent une fin en soi.
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Écrit par
- André AKOUN : professeur émérite, université de Paris-V-Sorbonne
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