MODES MUSICAUX
Qu' est-ce qu'un mode ? Il est difficile, sinon impossible, de trouver pour ce terme une définition simple, précise, correcte et qui convienne à tout le monde. Jacques Chailley, dans son étude intitulée L'Imbroglio des modes, a bien souligné que « la notion de mode n'est pas une notion, valable pour tous les temps et tous les pays. Elle s'est transformée au cours des siècles de telle manière qu'on ne peut la définir qu'en fonction de l'époque et du lieu où on l'examine. » L'auteur a passé en revue toutes les conceptions de modes depuis l'Antiquité grecque jusqu'à nos jours, en passant par le Moyen Âge et la Renaissance et en évoquant le rāga hindou et le maqām arabe, qu'il a classés dans la catégorie des « modes formulaires ». On se réfère ici à cet ouvrage pour tout ce qui concerne le concept des modes en Occident.
En Asie et en Afrique, les musicologues ont souvent utilisé le terme de « mode » pour désigner les tiao chinois, les chō japonais, les jo coréens, les d̄i&êdodot ;u vietnamiens, les rāga hindous, les dastgâh ou avâz persans, les maqāmāt arabes, les bhur maures. On essaiera de souligner les analogies et les caractères différentiels que peuvent présenter ces concepts, afin de retenir un certain nombre de critères susceptibles d'aider à définir la notion de mode, telle qu'elle est sentie par les musiciens d'Asie et d'Afrique.
Le mode en Occident
Suivant un ordre chronologique, Chailley distingue :
– Le mode formulaire (rāga hindou, maqām arabe, musique religieuse byzantine, plain-chant primitif, les « harmonies grecques »). C'est un ensemble complexe qui comporte une échelle caractéristique, mais souvent aussi – et surtout – un ensemble de conventions permettant de l'identifier facilement.
– Le mode système, dont les structures sont fondées sur une série de « points d'appui », de « bornes » relativement fixes délimitant des groupes de notes « mobiles » (nuances et genres de la musique grecque). « L'octave est considérée comme un système multiple formé de la réunion (harmonie) de systèmes unitaires (système multiple d'Aristoxène). »
– Le mode système unitaire, base de la conception médiévale, qui comporte des tétracordes dont l'un prend la prééminence sur l'autre (conception byzantine, adoptée en Occident au ixe siècle, des authentes et des plagaux).
– Les modes ecclésiastiques (qu'on appellera « grégoriens » à la fin du xixe siècle), avec le développement de la notion de finale, mais « l'idée de juger un mode d'après sa finale » n'est formulée avec netteté qu'au xie siècle (Guy d'Arezzo).
En même temps se développe la notion de « teneur » (dominante au xviie siècle), qui n'est pas toujours à la quinte de la tonique (5te pour les modes authentes, 3ce ou 4te pour les modes plagaux).
La notion d'« octave modale », qui n'apparaît pas avant le xie siècle, est une « rationalisation arbitraire de diagrammes ».
– Vers le xiie siècle, le développement de la polyphonie modifie la conception des intervalles. Du xiiie au xvie siècle, l'importance de la médiante entraîne « la ruine définitive du système tétracordal ».
– Au xvie siècle, « les modes du plain-chant, encore enseignés, ne sont plus qu'une survivance livresque ». Ces modes, que Chailley appelle « tons de transition entre modalité et tonalité », avaient conservé leurs noms anciens. « En fait, il n'y a plus alors que deux modes : le majeur et le mineur. »
La conception du mode comporte, selon Chailley, les notions suivantes : choix d'une octave type, unité fondamentale ; tonique, identifiée au premier son de l'octave type ; hiérarchisation des autres degrés sur le plan harmonique par rapport à la tonique : dominante,[...]
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Écrit par
- TRAN VAN KHÊ : directeur de recherche au C.N.R.S., président et directeur des études du Centre des études de musique orientale
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Médias
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