MOUSSORGSKI MODEST PETROVITCH (1839-1881)
Les dernières œuvres, la solitude et la mort
Boris Godounov fut représenté pour la première fois au théâtre Marie, à Saint-Pétersbourg, au début de 1874. Si le public lui fit un accueil assez chaleureux, la critique fut réservée, et, du vivant de son auteur, l'œuvre ne connut qu'une brève carrière. Plus tard, Rimski-Korsakov en entreprit la révision. C'est lui aussi qui donna sa forme définitive à la Khovanchtchina. Cet opéra, qui traite de la révolte des princes Khovansky et qui s'inscrit dans la ligne du drame historique ouverte par Boris Godounov, présente d'admirables caractères pleins d'austère grandeur ou de passion sauvage, des chœurs d'une ordonnance quasi liturgique et un mode de récitatif qui marque une évolution dans la manière de Moussorgski : « J'ai réussi à trouver, écrit-il, une mélodie que la parole crée, une mélodie informée par l'esprit. »
Tout à l'opposé, la conception générale de La Foire de Sorotchin, dernier ouvrage lyrique entrepris par le musicien, et qui s'inspire du texte de Gogol, laisse apercevoir ce qu'eût réalisé le génie de Moussorgski dans l'illustration musicale de la truculence populaire par une mélodie jaillissante, la fraîcheur de la notation folklorique et la caricature de personnages savoureux. Malheureusement, il n'en reste que quelques fragments, car l'état de santé physique et morale de Moussorgski ne lui permit pas de mener à bien cette œuvre ultime. Les dix dernières années de sa vie attestent les progrès en lui d'un état morbide que la pauvreté, l'insuccès, l'abandon de ses amis et l'abus de la boisson transformeront en une déchéance finale.
Trois œuvres, cependant, parfaitement achevées, témoignent de la permanence de dons exceptionnels : d'une part, les Tableaux d'une exposition (1874), véritable fresque pour le piano composée à la mémoire de son ami, l'architecte et peintre Victor Hartmann, et dont la couleur et la facture autant que les inventions rythmiques ont renouvelé les possibilités de l'instrument ; d'autre part, deux cycles de mélodies, Sans Soleil (1874) et Chants et danses de la Mort (1875-1880), qui sont le fruit d'une amitié qui le lia quelque temps à l'auteur des poèmes, Arsène Golenischev-Koutouzov. Depuis Le Voyage d'hiver de Schubert, il n'est peut-être pas, en ce domaine, de réussite plus tragique. L'extrême et déchirante nudité de l'un, la mortelle beauté de l'autre dévoilent, au comble de l'art, les secrets d'une âme tendre, hantée par la solitude et par la mort. Moussorgski s'est éteint à l'hôpital militaire de Saint-Pétersbourg. Par le souffle de liberté et la chaleur humaine qui l'habitent, son œuvre a suscité un nouvel élan créateur dans l'histoire du lyrisme musical.
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Écrit par
- Myriam SOUMAGNAC : musicologue, productrice à France-Musique
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