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MŒURS

Une scène galante, J.-L. Forain - crédits : Sotheby's/ AKG-images

Une scène galante, J.-L. Forain

Au terme de « mœurs » sont associées deux sortes de significations, dont la cohérence et la précision diffèrent. D'abord, ce mot peut être pris pour synonyme de manière d'être, de faire, de sentir, de penser. Rapportées à un peuple ou à un individu, ces manières constituent un ensemble de traits distinctifs. Tacite parle ainsi des « mœurs des Germains », et La Bruyère des « caractères ou mœurs de ce siècle ». Cette première acception insiste sur l'hétérogénéité des mœurs. Nous sourions pour faire accueil aux visiteurs. Les Tupinamba eux, pour exprimer la même attitude, doivent pleurer. En considérant la variété des mœurs et des coutumes, les explorateurs, puis les ethnologues, ont été conduits à adopter un relativisme plus ou moins sceptique. Pascal en a donné une formule célèbre : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. »

À ce relativisme ethnographique s'ajoute parfois un relativisme historique, ou plutôt historiciste. Les mœurs de nos contemporains ne sont plus celles de nos ancêtres. Chez les Latins, on opposait à la corruption moderne les mœurs des ancêtres : « mos majorum ». Au contraire, dans la perspective évolutionniste qui a longtemps prévalu en raison du prestige attaché à l'idée de progrès, les mœurs des peuples civilisés sont censées plus raffinées, plus « humaines », que celles, grossières ou barbares, de l'ancien temps. La monogamie constituerait un progrès par rapport à la polygamie ; les conduites extrêmes de soumission et de dépendance qui marquaient les rapports entre le seigneur et ses paysans constitueraient des mœurs ridicules et odieuses dont l'homme moderne s'est défait en même temps que des préjugés absurdes qui leur étaient associés. Les mœurs, quand elles sont appréhendées comme des pratiques contingentes, particulières et datées, ne possèdent aucun des caractères que la philosophie ancienne attribue à la morale. Les mœurs n'ont évidemment rien de commun avec l'impératif catégorique. Lévy-Bruhl, partant de cette observation, a construit une opposition radicale entre les « métamorales » cherchant à « fonder » les normes de conduite sur des maximes a priori et absolument formelles et une « science des mœurs » attentive aux conditions concrètes de l'expérience morale.

Mais à cette première conception des mœurs se joint une seconde, qui a été élaborée par les philosophes classiques, et que l'on retrouve au moins implicitement dans une expression commune, à laquelle la tradition juridique a donné un contenu relativement précis, celle de « bonnes mœurs ». Chez Platon, mais aussi chez Montesquieu et chez Hegel, les coutumes, les mœurs et les manières, la moralité (Sittlichkeit) ne constituent pas seulement une collection hétéroclite de pratiques arbitraires. Elles définissent un ensemble de « règles de vie », qui contribue à maintenir chez l'individu une hiérarchie convenable entre ses diverses activités, à éviter qu'il ne succombe au despotisme de ses passions, ou qu'il ne s'égare dans les caprices d'une fausse liberté, et en même temps à assurer la paix et l'harmonie entre les individus et les groupes qui composent la société. Les mœurs ne sont plus traitées comme une liste incohérente de coutumes bizarres. Elles constituent les conditions de la vie vertueuse et raisonnable.

L'institution divine de la législation, des mœurs et de l'éducation

La pensée moderne distingue avec plus ou moins de rigueur la politique, le droit, les mœurs. Bien que ces distinctions ne soient pas absentes chez les Anciens, et notamment chez Platon, ces différents ordres de phénomènes sont saisis plutôt dans leur unité systématique que dans leur diversité. En effet, pour les Anciens, les lois, les mœurs, les vertus procèdent d'une même source et tendent[...]

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