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MOI

Le moi et la « déconstruction » du sujet

Le moi et l'altérité

Le moi s'entend de façon radicalement différente, selon qu'on admet ou non la révolution freudienne : aucun terme, sauf peut-être celui du sujet qui lui est lié, n'a subi une telle mutation. Dans la philosophie classique, ou en général dans la réflexion philosophique, le moi représente la conscience individuelle de l'empirique dans le sujet : conscience des changements et fluctuations d'un quelque chose d'invariant. Du même coup, le moi a une fonction de lien et de rassemblement : soit comme substrat permanent, soit comme sujet transcendantal, c'est-à-dire comme concernant les conditions de possibilité de la pensée dans le temps. Ce sont là les définitions du moi que l'on trouve dans le Vocabulaire technique et critique de la philosophie de Lalande : « conscience de l'individualité empirique », « réalité permanente et invariable, considérée comme substratum fixe des accidents simultanés et successifs qui constituent le moi empirique », « sujet pensant », au sens transcendantal, et surtout cette dernière définition, conséquence logique des autres : « Acte originaire de la pensée, dont il exprime l'autonomie radicale » (Fichte). Mais, qu'il soit substrat ou condition de possibilité, le moi philosophique constitue le fondement et l'essence de la subjectivité : celle-ci est alors conçue comme un intérieur face à l'extériorité du monde.

Dans la conception analytique freudienne, le moi garde des fonctions médiatrices, puisqu'il est « situé », dans les topiques, « entre » le ça et le surmoi. Mais, et c'est là que porte la mutation, l'extériorité est à l'intérieur du sujet. L'inconscient, tel que Freud le pose, introduit dans l'« autonomie » du sujet une série d'instances qui l'en dépossèdent : le sujet n'est plus face au monde ; il est aussi, si l'on peut dire, face à lui-même. Du fait de cette logomachie interne entre les instances qui forment le sujet, l'assurance subjective que les philosophes trouvent dans le moi est contestée ; son fondement en est délogé, déplacé dans un lieu multiple, fondamentalement hétéronome.

Il serait tentant d'opposer ainsi la conception philosophique du moi comme intériorité à la conception analytique du moi comme fonction d'équilibre, s'il n'était arrivé à la conceptualisation freudienne une curieuse aventure. Freud, en fondant la psychanalyse, ne prétendait pas apporter à la réflexion, quelle qu'elle soit, la sécurité morale et politique, comme en témoigne son propos ; débarquant aux États-Unis, il croyait, disait-il, y apporter « la peste ». Or, par l'intermédiaire de la psychologie comme science du sujet empirique, la psychanalyse est devenue, d'abord aux États-Unis, une pratique sociale de la « réadaptation ». Anna Freud mais surtout Heinz Hartmann ont « étayé » la pensée freudienne et permettent de rendre compte de cette déviation instructive : en construisant à partir de Freud une « théorie psychanalytique du moi », ils ont transformé la doctrine freudienne en une psychologie du comportement, qui fait retour à la philosophie classique. Il y aurait, selon Hartmann, un moi relevant de l'autonomie, d'une quasi-conscience, et un moi relevant de l'hétéronomie, de l'animalité libidinale. La psychanalyse a comme fonction, dans ce cas, de renforcer le premier moi et de neutraliser le second : peu différente d'une morale des passions, elle retourne à la dichotomie entre l'extérieur et l'intérieur, qui se double ici de cette autre division révélatrice : le « bon » et le « mauvais ». Le sujet empirique contrôle ses accidents par la technique analytique ; il trouve dans la figure de l'analyste un point d'équilibre prêt à colmater toutes les brèches que la vie quotidienne[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de l'Université
  • : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

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