MOKUBEI AOKI (1767-1833)
Homme de grande culture, amateur d'art éclairé, potier autant que peintre, Aoki Mokubei est le type même du lettré, dans son concept oriental, et la personnification d'une certaine élite intellectuelle de l'époque. Il fut esthète avant que d'être artiste et, fait exceptionnel, il passa très tard à la création.
En dépit de la politique isolationniste, le prestige de la Chine n'avait cessé de croître dans l'archipel du Japon depuis le xviie siècle. Son influence, devenue très profonde, féconda peinture et céramique, imprégna littérature et poésie. C'est donc dans une société éprise de culture chinoise qu'évolua Mokubei. Et les tendances contemporaines marquèrent fortement son œuvre.
Après une stricte fidélité aux traditions purement japonaises de Ninsei et de Kenzan, les potiers de Kyōto cédaient alors à la vague sinisante ; cette déviation s'accentua avec Mokubei. Et s'il n'apporta aucune innovation en céramique, il sut en traduire les aspects les plus variés. Aussi est-ce à juste titre qu'on le considère comme l'un des meilleurs potiers de Kyōto au xixe siècle.
Quant à sa peinture, elle ne fut pas le fruit d'une formation professionnelle, mais de ses goûts de dilettante et d'amateur averti. Vivant dans l'entourage de peintres Nanga, il leur emprunta naturellement leurs principes esthétiques. Ceux-ci cependant prirent, sous le pinceau de Mokubei, une touche très personnelle, car chez cet artiste le peintre et le céramiste ne font qu'un.
Le potier éclectique
Fils aîné d'un patron de maison galante de Kyōto (d'un restaurant, selon certains), Mokubei fut attiré très tôt par les lettres. Cette passion pour la littérature ne pouvait que provoquer une aversion caractérisée pour le métier paternel ; aussi, à quinze ans, quitta-t-il la maison familiale. Ses pas le menèrent auprès de Kōfuyō (mort en 1784), tout à la fois graveur de sceaux renommé, grand lettré et connaisseur d'art. Ce contact lui fit découvrir, entre autres choses, les bronzes antiques. À un certain moment, Mokubei aurait même exercé ses talents à les imiter.
Une rencontre plus déterminante pour le jeune homme, doué mais encore instable, fut celle de Kimaru Kenkadō (1736-1802). Ce dernier, résidant à Ōsaka, passait pour l'un des hommes les plus cultivés du Kansai et sa maison était le pôle d'attraction de l'élite intellectuelle et artistique. C'est chez lui qu'en 1794 Mokubei découvrit une histoire de la poterie et de la porcelaine en Chine, le Yinwei bishu, écrit par Zhu Yan. Ce livre fut une véritable révélation pour Mokubei et décida de sa carrière. Il s'y attacha au point d'en faire une traduction. Commencée en 1804 sous le titre Commentaires sur la céramique (Tōsetsu), reprise en 1827, elle ne sera publiée que deux ans après sa mort.
Vers l'âge de trente ans, nanti d'une connaissance théorique approfondie, Mokubei passe enfin à la pratique. Son maître fut Okuda Eisen, potier d'ascendance chinoise qui s'était fait connaître par ses copies de porcelaines Ming et surtout par ses imitations de Swatow (Shantou), production si prisée au Japon.
Mokubei conquit rapidement une grande célébrité, que des commandes princières en 1805 portèrent à son comble. Il fut commandité par de grands seigneurs de province. Il aurait ainsi, en 1801, fait un séjour chez le daimyō de Kii, bien que, dans son état actuel, son œuvre n'en offre aucune trace.
Au début du xixe siècle, Mokubei fit ses premiers céladons qui remportèrent un grand succès. Une grande part de cette production se rattache à son installation dans la province de Kaga. En 1806, les Maeda de Kanazawa, qui pratiquaient le mécénat artistique, invitèrent Mokubei à travailler sur leurs terres. Après quelques essais concluants, il y exécuta, outre toute une variété de[...]
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Écrit par
- Chantal KOZYREFF : conservatrice des collections Japon, Chine et Corée aux Musées royaux d'art et d'histoire, Bruxelles, gestionnaire des musées d'Extrême-Orient
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Autres références
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JAPON (Arts et culture) - Les arts
- Écrit par François BERTHIER , François CHASLIN , Encyclopædia Universalis , Nicolas FIÉVÉ , Anne GOSSOT , Chantal KOZYREFF , Hervé LE GOFF , Françoise LEVAILLANT , Daisy LION-GOLDSCHMIDT , Shiori NAKAMA et Madeleine PAUL-DAVID
- 56 170 mots
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Adepte du Bunjinga (peinture des lettrés à la mode chinoise), Aoki Mokubei (1767833), s'adonna aussi à l'art céramique et fit preuve d'un grand éclectisme, s'inspirant souvent de modèles chinois, tout en les adaptant au goût de son époque. Cet éclectisme se retrouve dans les créations d'Okuda Eisen...