MOLIÈRE (1622-1673)
Une pratique théâtrale
C’est sous l’égide de la comédie de caractère que l’œuvre de Molière en vient à acquérir le statut de classique. Au xviiie siècle, en effet, s’élabore ce concept selon lequel le but de la comédie est de peindre un caractère correspondant à un vice et de fustiger ce dernier par le biais du ridicule : castigatridendo mores (« châtier les mœurs en riant »), selon une formule qu’en réalité Molière n’a jamais prononcée. De fait, rien n’est aussi étranger à sa pratique et à sa pensée. Il est vrai que des propos d’une teneur semblable sont énoncés à l’occasion de la défense du Tartuffe. Mais ce sont des arguments de circonstance, factices, avancés au moment où Molière doit justifier son audace dans l’attaque menée contre les symboles religieux.
Une observation attentive de la comédie moliéresque révèle au contraire que, dans les faits, elle n’est pas construite autour de caractères, pas plus qu’elle ne vise d’objectifs moraux ou qu’elle ne possède une visée anthropologique. C’est le pragmatisme dramaturgique qui préside aux choix effectués dans la composition des pièces : les œuvres qui forment le corpus de la trentaine de comédies résultent de circonstances à chaque fois différentes (pièces de complément de programme, réalisations de prestige longuement polies, « comédies mêlées » élaborées dans la hâte, spectacles de grande envergure, etc.) et visent à des objectifs divers (pochade humoristique, provocation scandaleuse, éblouissement des sens, clins d’œil à l’égard de l’actualité…). L’impression superficielle d’uniformité est due à l’importance qu’occupaient, dans nombre de ces pièces, les rôles-titres attribués à Molière, dont l’interprétation comique constituait un des attraits les plus séduisants du spectacle.
Les intrigues proviennent de trois sources principales : tantôt de la reprise et de la combinaison de canevas tirés du répertoire de la commedia dell’arte, tantôt d’adaptations de pièces rédigées préexistantes, françaises ou étrangères (italiennes, espagnoles, ou antiques), tantôt de la propre invention moliéresque. À ces substrats le plus souvent contraignants s’ajoutent les exigences qu’imposent l’interaction avec la musique, la nécessité de prendre en compte les impératifs scéniques (la structure de Dom Juan ou le Festin de pierre est conditionnée par la succession des décors machinés), de distribuer équitablement les rôles entre les acteurs ou de provoquer certains effets émotionnels. Il est dès lors manifeste que le travail de dramaturgie ne répond aucunement aux critères d’une poétique. Molière ne pense pas la composition de ses pièces en dehors des conditions qu’impose la scène. Il est en premier lieu un homme de métier, à l’instar du dramaturge espagnol Lope de Vega, de ses contemporains de la Restauration anglaise ou des acteurs de la commedia dell’arte, qui lui ont si souvent servi de modèle.
Cette attitude implique parfois de reprendre des séquences déjà utilisées dans d’autres circonstances, et surtout de recourir à du matériau exogène pour la création parfois hâtive des pièces. Molière n’emprunte pas seulement à ses prédécesseurs des œuvres entières ou des linéaments d’intrigue, mais également des scènes, des bons mots, des vers, des jeux de scène comiques. C’est ainsi que les plaisanteries des Précieuses ridicules ont été pour une bonne part tirées des Lois de la galanterie (édition de 1658) de Charles Sorel ou que la célèbre formule « Qu’allait-il donc faire dans cette galère ? » des Fourberies de Scapin provient du Pédant joué (1654) de Cyrano de Bergerac. Tantôt Molière puise dans des versions imprimées, tantôt il recourt à ce que lui offrent souvenirs et réminiscences ou la fréquentation des comédiens italiens, avec lesquels il partage sa salle. De ce[...]
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Écrit par
- Claude BOURQUI : professeur de littérature française à l'université de Fribourg
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