MOLIÈRE (1622-1673)
Un sens inné du public
L’avantage dont dispose Molière sur ses rivaux est qu’il excelle à saisir les goûts de son public et à développer avec celui-ci une relation d’une qualité inconnue jusqu’alors. À cette audience constituée des membres de la cour et des milieux qui la prennent pour modèle, il renvoie une image flatteuse, tout en lui donnant à entendre le discours qu’elle apprécie. Les comédies représentent l’univers auquel les spectateurs s’identifient (salons et lieux de l’activité culturelle, intérieurs domestiques, univers pastoraux) et les pratiques sociales et culturelles qui leur sont familières (lectures collectives d’œuvres littéraires, procédures juridiques, fêtes de cour, vie de famille bourgeoise). Elles font également un usage soutenu de formes de discours liées à ces mêmes pratiques (portraits, pointes, satires, conversations). Et surtout elles véhiculent, et parfois même exhibent, les valeurs partagées au sein de ce milieu : esprit de tolérance, détestation de l’opiniâtreté, hantise de la pédanterie, mépris du provincial et du bourgeois, recherche du naturel. La question féminine est au centre des préoccupations : on y traite, sous cet angle, de l’éducation, du savoir et de sa pertinence ; on y évalue les comportements en matière amoureuse (prudes, coquettes, précieuses, « cruelles »). Les questions d’ordre anthropologique, semblables à celles qui agitent les esprits dans ces lieux d’échange intellectuel que sont les salons – et qui constitueront, entre autres, la substance des Maximes de La Rochefoucauld –, y trouvent aussi leur place : sincérité, amitié, vie en société, nature de la noblesse, rôle de la fortune, travers de l’esprit humain, etc. L’actualité n’est pas en reste non plus : on y fait allusion à tel édit contre le luxe récemment paru, à la campagne militaire de Flandres, à l’éducation du Dauphin, à la réforme en cours de la police et de la justice.
La connivence est cultivée par le biais de clins d’œil, de « clés » (références à des personnalités vivantes que seuls certains initiés peuvent décrypter) ou d’interactions établies avec le public (entre autres, par les propositions de contenu de spectacle formulées par certains spectateurs au travers de « mémoires »). Le qualificatif de « galant » est celui qui revient le plus souvent à propos de l’auteur qu’on admire pour avoir mené la troupe du Palais-Royal au sommet. De fait, Molière, par son sens de l’improvisation et de l’adaptation continuelle aux attentes de ses spectateurs, par son indifférence absolue envers les règles de la poétique, par sa capacité à assumer la fonction de « Môme [Momus] de la Cour » (Charles Robinet), satisfait à tous les critères de ce que les contemporains appellent la galanterie.
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Écrit par
- Claude BOURQUI : professeur de littérature française à l'université de Fribourg
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