MOLLOY, Samuel Beckett Fiche de lecture
Molloy est le premier roman que Samuel Beckett (1906-1989) publie en langue française, « avec le désir de (s)'appauvrir encore davantage », après deux romans écrits en anglais. Il inaugure sa grande trilogie romanesque, qui se poursuit avec Malone meurt (1952) et L'Innommable (1953), et constitue en France un double événement : la découverte de Beckett et une révolution dans l'art romanesque, saluée par une longue étude de Georges Bataille.
Les deux cercles de l'enfer
Molloy est divisé en deux parties, de longueur sensiblement égale et de construction symétrique, écrites à la première personne par deux narrateurs distincts et a priori opposés.
Dans la première partie, composée d'un seul paragraphe, Molloy, alité, raconte ses pérégrinations passées, qu'il a reçu l'ordre d'écrire. Parti à la recherche de sa mère, il erre en ville et dans la campagne environnante, est hébergé par une vieille femme, puis se perd dans une forêt labyrinthique (véritable selva oscura dantesque) où il tue un homme. Sa dégradation physique (il se déplace à bicyclette avec une jambe raide, puis sur des béquilles, enfin par reptation) caricature le sort inévitable de tout humain. Molloy échoue finalement dans un fossé, d'où il sera ramené dans le lit maternel, devenu le sien (l'incipit du chapitre est : « Je suis dans la chambre de ma mère »).
Jacques Moran, le narrateur de la seconde partie, est lui aussi chargé de rédiger un rapport. Enquêteur au départ méthodique et maniaque, il mène une existence bourgeoise et puritaine, jusqu'à ce que Gaber, agent de l'invisible Youdi, lui assigne pour mission de partir à la recherche de Molloy. Cette enquête prend la forme d'une succession d'épreuves : son fils l'abandonne, son corps (il se met à boiter et à vieillir) et son éthique (il tue lui aussi un homme dans la forêt) se dégradent. Ayant reçu l'ordre de rentrer, il prévoit, son rapport terminé, de vagabonder sur ses béquilles. Est-il devenu ce Molloy qu'il n'a pas su trouver ? Est-il un Molloy plus jeune ?
Ce couple de personnages quasi homonymes qui se partagent littéralement le livre met en question l'unicité du personnage littéraire. Mais l'audace de Beckett est de fermer par deux fois la boucle romanesque : les deux récits circulaires en miroir soulignent le caractère inéluctable de la métamorphose subie.
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Écrit par
- Christine GENIN : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France
Classification
Média
Autres références
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LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE
- Écrit par Dominique RABATÉ
- 7 278 mots
- 13 médias
...L’offensive contre la signification que Beckett a menée au théâtre s’inscrit dans la suite de son œuvre en prose, dans la trilogie qui débute par Molloy (1951), sorte d’antiroman en deux temps, dont le héros est cloué sur un lit et raconte de manière décousue l’odyssée dérisoire d’un quasi cul-de-jatte....