MONACHISME
Le monachisme brahmanique et hindou
Ermites forestiers et « renonçants »
Il n'y a pas, à proprement parler, de vie cénobitique dans l'Inde brahmanique. Il y a d'une part des ermites forestiers (vānaprastha), que les Grecs appelèrent pour cette raison ὑλόϐιοι, d'autre part des ascètes (śramaṇa), qui sont des moines errants (parivrāj) et mendiants ( bhikṣu) ; ce sont ceux qui ont entièrement renoncé ( saṃnyāsin) à la société religieuse séculière. Les Vedaet les deux premières Upaniṣad védiques ne font pas de distinction explicite entre ces deux états. Peu à peu cependant, à partir de la Śvetāśvatara Upaniṣad, la division se précise.
Les ermites forestiers sont des anachorètes sédentaires. Accompagnés ou non de leur femme, ils continuent de réciter les Veda, d'accomplir des sacrifices, prennent des bains lustraux. Ils y ajoutent la méditation silencieuse, la chasteté et d'extrêmes austérités (tapas). En pratiquant celles-ci, ils deviennent des accumulateurs d'énergie (tapasvin), rivalisant parfois même avec les dieux. Toutefois, retraite n'est pas rupture. Ces ermites forestiers font toujours partie de la société brahmanique et reçoivent, à l'occasion, des hôtes, comme on le voit au théâtre et dans l'épopée.
Il en va tout autrement pour les moines errants, les « renonçants ». Tolérés autant qu'admirés par la société religieuse séculière, ils ont, quant à eux, rompu tout lien avec elle. Ce qui les définit, au sens propre comme au sens figuré, c'est qu'ils sont sans feu ni lieu, sans attaches. La grande différence avec les moines bouddhistes ou jaïnistes, comme avec les ordres monastiques hindous postérieurs au viiie-ixe siècle, c'est qu'en quittant la société séculière ils ne deviennent pas des réguliers mais plutôt des irréguliers. Toutefois, un trait commun à leur vocation, et qui leur sert de règle informelle, c'est le vairāgya, avec sa double nuance de dégoût du monde ou mieux d'indifférence au monde. C'est là la condition décisive qui fait que ces vagabonds, toujours marginaux, parfois déviants, ne sont pas purement et simplement des hors-la-loi, ce qu'ils seraient s'ils désertaient le monde tout en y restant attachés. Ce sont, en quelque sorte, des hors-caste d'élite. Comme l'a fortement souligné L. Dumont, tandis que les membres de la société séculière n'ont guère d'existence individuelle mais sont caractérisés par une existence plutôt relationnelle, étant toujours un maillon d'une chaîne hiérarchique, les « renonçants » accèdent au statut d'individu-hors-du-monde. Ils existent par eux-mêmes et n'ont souci que d'eux-mêmes. Mais, pour autant que leur vocation est réelle, il ne s'agit aucunement d'un individualisme au sens où l'Occident moderne entend ce mot. Ils n'acquièrent d'existence individuelle que pour la transcender et la résorber dans un x indifférencié. Le « soi-même » dont ils ont souci n'est pas leur moi-un-tel mais plutôt le pur sujet, l'ātman universel dont on ne peut rien dire sinon qu'il est à l'intérieur de tout (sarva-antara). Tenant d'une main leur bâton, de l'autre leur bol à aumônes, ne couchant pas plus de deux à trois nuits dans le même endroit (sauf à la saison des pluies), ce sont des chemineaux en quête de « soi-même ».
Le renoncement et la société séculière
La société séculière s'efforcera d'apprivoiser ce monachisme sauvage, en l'institutionnalisant à la faveur de la théorie des quatre āśrama : comme on s'en aperçoit à partir de la Sv́etāśvatara Upaniṣad, dans le Mahābhārata, et plus strictement dans les traités juridiques (Dharmaśāstra), notamment les Lois de Manu. Cette théorie ordonne le déroulement idéal de[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- André BAREAU : professeur au Collège de France, chaire d'étude du bouddhisme
- Guy BUGAULT : professeur émérite de philosophie indienne à l'université de Paris-Sorbonne
- Jacques DUBOIS : moine bénédictin, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)
- Henry DUMÉRY : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
- Louis GARDET
: ancien professeur au collège philosophique et théologique de Toulouse, co-directeur de la collection Études musulmanes, collaborateur de l'
Encyclopédie l'Islam - Jean GOUILLARD : docteur ès lettres, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)
Classification
Médias
Autres références
-
ABBAYE
- Écrit par Pierre-Roger GAUSSIN
- 4 563 mots
- 3 médias
L'abbaye est un monastère gouverné par un abbé (lat. abbas, du syriaque abba = père), peuplé de moines ou de chanoines réguliers. (Les abbayes de moniales sont gouvernées par une abbesse.) Parmi les premiers, les trois familles essentielles sont actuellement celles des bénédictins...
-
ABBÉ
- Écrit par Patrice SICARD
- 1 197 mots
Le mot abbé vient vraisemblablement du syriaque abba, signifiant père, où il traduisait le respect porté à un dignitaire de la société civile ou religieuse. Du syriaque le mot passa, vers le IIIe siècle, dans la langue du monachisme ancien de l'Orient chrétien.
On est alors...
-
ABBON DE FLEURY saint (945-1004)
- Écrit par Jean-Pierre BORDIER
- 323 mots
Né dans l'Orléanais, Abbon, encore enfant, est offert par ses parents au monastère bénédictin de Fleury (aujourd'hui Saint-Benoît-sur-Loire) où il vient enseigner après avoir étudié à Paris et à Reims. Appelé à diriger l'école abbatiale de Ramsay (Yorkshire), il revient à Fleury pour en être bientôt...
-
AELRED DE RIEVAUX (1099 env.-1166)
- Écrit par André DUVAL
- 249 mots
- Afficher les 81 références