MONDIALISATION Le point de vue internationaliste
Le renouveau internationaliste
L'essor de l'humanitaire « sans frontières » (médecins, pharmaciens, avocats, reporters) a constitué en effet une première réponse aux déceptions politiques des années 1970 et à l'obscurcissement des idéaux émancipateurs. Il signifiait en même temps une prise de distance envers les grands projets de transformation sociale et un repli sur « la politique du moindre pire », selon la formule de Rony Brauman. Cette démarche correspondait également à la déconstruction postmoderne des grands récits ou à la « pensée faible » revendiquée dans les années 1980 par un philosophe comme Gianni Vattimo.
Le temps des « sans-frontières »
Le développement du « sans-frontiérisme » autour de la thématique des droits de l'homme a connu trois moments forts. Initialement, il s'est présenté comme une pratique d'assistance postcoloniale, dans une large mesure d'inspiration religieuse. Dans un deuxième temps, dynamisé par la reconversion partielle de la génération militante des années 1960, il a développé à la fin des années 1970 une pratique compassionnelle et antitotalitaire. Dans un troisième temps, après la chute du Mur de Berlin et avec les interventions militaires dans les Balkans ou en Somalie, sont apparues des différenciations liées à une repolitisation. Elles se sont traduites par une prise de distance de certains secteurs envers les ingérences militaires et la récupération de l'humanitaire par les intérêts d'État, et par une tension entre des O.N.G. tentées par la promotion institutionnelle, enclines à administrer « une suprématie morale », et d'autres plus sensibles à la critique sociale. Des convergences sont ainsi apparues entre une organisation comme Médecins sans frontières et certains thèmes portés par une nouvelle organisation comme Attac, même si la tradition humanitaire, défiante envers les illusions lyriques, s'intéresse moins aux fins politiques qu'à « une amélioration infinie des moyens ». Ces rapprochements n'en contribuent pas moins à l'idée d'une communauté éthique universelle en formation.
La mondialisation libérale ébranle en effet les trois piliers de la société moderne que sont la référence nationale, le sentiment d'appartenance de classe, et l'institution familiale. La première est bousculée par la mondialisation des marchés et des capitaux. La deuxième, par les mutations du salariat et par la complexité croissante des statuts et des identités. La troisième, par l'évolution des mœurs, la multiplication des familles monoparentales, les nouvelles techniques procréatives, la reconnaissance des couples homosexuels et la revendication de l'homoparentalité. Le compromis social de l'après-guerre est de plus en plus écartelé entre la supranationalité de la gouvernance globale d'un côté, l'ethnicisation et la confessionnalisation de l'autre ; entre le métissage multiculturel et les crispations identitaires ; entre un contractualisme « libertarien » et l'institution familiale. Cette mue des affiliations et des appartenances ne peut manquer d'affecter le renouveau internationaliste libéré de la mainmise des États et de la logique bipolaire Est-Ouest.
Internationalisme de réseaux
Le creusement des inégalités et la rechute de certains pays dans la spirale du sous-développement sous le choc des « thérapies » libérales a ainsi stimulé dès le début des années 1990 un nouveau tiers-mondisme en conflit avec « le nouvel ordre colonial global », avec le système hégémonique de gouvernance mondiale, avec les expéditions militaires de plus en plus brutales. Significativement, le soulèvement zapatiste du Chiapas s'est produit le 1er janvier 1994, date de l'entrée en vigueur de l'accord de libre-échange nord-américain (A.L.E.N.A.) entre le [...]
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Écrit par
- Daniel BENSAÏD
: maître de conférences en philosophie, directeur de la revue
Contretemps
Classification
Média
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