MORELLI MONIQUE (1923-1993)
Le nom et la vie de Monique Morelli se rattachent aux poètes du Paris populaire et pittoresque, à Montmartre, ainsi qu'aux plus célèbres cabarets, tant de la rive droite que de la rive gauche.
Avec sa mort, le 27 avril 1993, à Paris, s'est éteinte une génération d'artisans de la chanson française dont les origines remontent aux plus célèbres chanteurs à voix, ceux qui avaient repris l'héritage du XIXe siècle, antérieurement à l'ère de la radiophonie et de la phonographie. On peut évoquer les noms d'Yvonne Georges, de Damia et de Fréhel. Le micro n'était pas leur instrument. À cela tient, en partie du moins, qu'on les classa comme chanteuses réalistes, non seulement à cause des textes et des sujets abordés, mais aussi parce que l'absence de cet intermédiaire factice rendait le contact immédiat, charnel, parfois rugueux.
Monique Morelli (de son vrai nom Monique Dubois) est née à Béthune, le 19 décembre 1923, et rien ne la prédisposait à jouer ce rôle de premier plan et pourtant effacé. Seules son enfance et son adolescence peuvent expliquer ce paradoxe, une entrée dans la vie heurtée, partagée entre le cirque, les cours d'art dramatique, la figuration au cinéma et les petits métiers pour subsister, mais toujours un refus des solutions faciles et des compromissions. Est-ce intérêt véritable ou simple défi de la part de Sacha Guitry qui, dit-on, l'encouragea à chanter ? Elle débuta au cabaret Le Grand Jeu, on l'entendit au Saint-Yves, puis elle participa à l'ouverture de La Rose rouge. Un hommage à Fréhel constitue le programme de son premier disque.
Sa carrière tient en quelques lieux – les cabarets – et quelques poètes. Les cabarets sont devenus mythiques et raniment quelques vieux souvenirs : Le Port du salut, Ma Cousine, Pomme, La Contrescarpe, jusqu'à celui qu'elle ouvrit elle-même, au flanc escarpé de la butte Montmartre, Chez Ubu. Un cheminement naturel la conduisit enfin à Bobino, avec Georges Brassens. Elle maintint Chez Ubu contre vents et marées, de 1962 à 1969. Sur le plateau exigu de la rue du Chevalier-de-La-Barre, elle accueillit les artistes et poètes pauvres, et les débutants. Les poètes chevronnés écoutaient, bavardaient, et Morelli chantait, jouant de sa longue écharpe rouge et de sa voix rauque, parfois langoureuse, souvent gonflée d'énergie. On y voyait les vieux amis, Pierre Seghers, Max-Pol Fouchet, Albert Vidalie et Antoine Blondin ; on y croisait les ombres de Carco et de Mac Orlan, les fantômes de Villon et de Ronsard, ceux de Jehan Rictus et de Gaston Couté.
Pierre Mac Orlan fut la première rencontre poétique de Monique Morelli, et sans doute la plus profonde. Le poète de Saint-Cyr-sur-Morin et du Quai des brumes écrira pour elle, et elle adoptera son répertoire. « Quand elle disparaîtra dans l'écho de sa dernière chanson, a-t-il écrit, ce sera la fin du monde. [...] Ce passé deviendra incompréhensible. » Le poète fut sans doute mauvais prophète, car les souvenirs ne s'éteignent pas si facilement ; mais il est vrai que le passé de Morelli semble mort à jamais dans la forme que nous avons aimée. De ce point de vue, elle nous paraît « incomparable » : sa manière de chanter, de clamer, de porter sa tête en arrière, d'amalgamer les mots et leur musique au fond de sa gorge. D'autres ont bien parlé d'elle, Aragon, surtout, qui fut certainement la rencontre la plus importante après celle du vieux Mac Orlan. Les poètes savent ce qu'ils doivent à celle qui les a si bien chantés, avec une force simple, sans fard et sans effet, soutenue seulement par l'accordéon souvent plaintif de Lino Leonardi. Comment ne pas parler de lui, qui fut la moitié puis le presque-tout de sa vie, l'humble compositeur toujours présent, inventeur de musiques comme le compagnon sertit la pierre taillée par le poète ?[...]
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Écrit par
- Guy ERISMANN : écrivain et musicologue, secrétaire général adjoint de l'Académie Charles-Cros
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