MONNAIE Histoire de la monnaie
L'étymologie et la linguistique suffisent à rendre quelque peu mystérieuses l'origine et la signification du mot « monnaie ». Le terme français provient de ce que la monnaie romaine était frappée dans le temple de Juno Moneta (de monere : l'avertisseuse ?), au Capitole, et portait parfois cette épithète sous l'effigie de la déesse. Mais les Romains eux-mêmes employaient les mots nomisma (du grec νόμισμα, ce qui est consacré par la loi), nummus (du grec νο̃υμμος, désignant une monnaie de Tarente) et aussi pecunia (de pecus, troupeau) ; ce dernier terme, comme le sanscrit rupa (roupie) et le germain feo, vieh (cf. anglais fee, salaire), rappelait l'époque où toute propriété était évaluée en têtes de bétail (capita, têtes, a donné « capital ») ; ainsi l'hébreu keseph désigne-t-il à la fois le mouton et l'argent, gemel à la fois le chameau et le salaire. Quant aux langues modernes, elles font référence à des métaux (l'allemand Geld, argent), mais aussi à toute espèce en circulation (l'anglais currency) ou encore à l'ancienne unité romaine, le denier (denarius, dix as), qui a donné denaro en italien, dinero en espagnol, dinar (bulgare, serbe, arabe) sur tout le pourtour de l'Empire latin.
Ces sources diverses, par leur variété même, font comprendre ce qu'est d'abord la monnaie : tout instrument d'échange économique, qu'il soit incarné dans le cheptel, représenté par un métal conventionnel ou simplement fondé sur une domination étatique. Denrée et marchandise utile, ou monnaie symbole, la monnaie fut ainsi soumise, dès son origine, à l'ambiguïté dénotée par Aristote : « Parfois la monnaie semble être une pure futilité [...] et, aussi loin qu'aille sa nature, un pur rien, car si ceux qui s'en servent abandonnent une monnaie pour une autre, elle devient sans valeur et sans utilité pour les nécessités de la vie. »
Cette constatation, déjà valable à une époque où la valeur de la monnaie semblait cependant gagée par la rareté ou la difficulté d'extraction du métal qui la matérialisait, a renforcé sa vigueur à partir du xviie siècle, où est apparu en Occident le papier-monnaie : la valeur de ce dernier fut garantie tour à tour par un stock monétaire et une libre convertibilité en métal au choix du porteur, puis par l'existence de biens fonciers (assignats), enfin par la simple parole de l'autorité émettrice (cours forcé).
Les instruments monétaires avant la monnaie
On a cru longtemps – après Aristote, Nicolas Oresme (Traité des monnaies, 1370), Guillaume Budé – que la monnaie, sous forme métallique, avait peu à peu remplacé le simple troc, et cela à une date assez récente (viiie-viie s. av. J.-C.). L'ethnologie et l'archéologie ont prouvé que les choses s'étaient passées de façon quelque peu différente : le troc proprement dit est une vue de l'esprit, car le transfert de propriété dans les sociétés dites primitives, loin d'être un acte simple, est au contraire entouré de formalités complexes, liées à la magie. Ainsi l'idée de bœuf-monnaie (monnaie de sang) a-t-elle succédé à l'idée de bœuf de sacrifice, cette dernière étant elle-même liée à la valeur intrinsèque de l'animal dans une civilisation pastorale : c'est encore en bœufs que s'évalue la dot des filles dans certaines régions d'Afrique orientale.
Quant à la monnaie métallique, ses formes sont aussi anciennes que l'histoire : le Code d'Hammourabi (vers 1760 av. J.-C.) évalue des gages en poids d'argent ; cependant, un sicle d'argent (16,82 g) valait idéalement le prix d'un porc, deux porcs valaient un mouton, et banquiers et marchands prêtaient indifféremment en argent ou en orge ; on doit donc admettre que la « monnaie » n'existait pas[...]
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Écrit par
- Michel BRUGUIÈRE : ancien élève de l'École normale supérieure, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, ancien rapporteur général du Haut Comité de la langue française
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Médias
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