MONNAIE Théorie économique de la monnaie
L' analyse économique des phénomènes monétaires regroupe deux traditions distinctes quoique sans doute moins antagoniques qu'on ne les présente parfois. La première, dont il sera plus particulièrement question ici, traite de la monnaie dans un cadre spécifiquement économique, ce qui n'exclut pas de vigoureuses polémiques sur la nature de la monnaie ou la politique monétaire. La seconde conception, rassemblant par exemple les travaux de Karl Marx (1875), Georg Simmel (1907), Marcel Mauss (1924) ou François Simiand (1934), adopte une approche pluridisciplinaire mêlant économie, sociologie et anthropologie, et insiste sur la nature de la monnaie en tant que rapport social (ce que reconnaît également la première conception). Cette tradition demeure cependant assez marginale dans le débat de politique monétaire. S'il est certain que l'étude de la monnaie dépasse largement le cadre de l'économique au sens strict, cela ne signifie pas que la théorie économique n'ait ni apport spécifique ni avantage comparatif en la matière. Au contraire, la monnaie est un objet de calcul économique (en même temps qu'elle permet l'expression de ce calcul), et les problèmes monétaires sont essentiels en économie, tant sur le plan théorique que sur celui de la politique économique ; c'est pourquoi les principes du raisonnement économique peuvent et doivent être appliqués à la monnaie.
Analysant toutes deux la monnaie à la fois comme un fait social et comme un bien privé, les deux traditions s'accordent pour reconnaître que celle-ci a pour fondement la confiance. Car la monnaie est une promesse de biens. La confiance intervient ici à deux niveaux : dans la croyance que la monnaie sera acceptée dans les échanges, et dans l'espoir qu'elle ne se dévalorisera pas trop – ou pas – en termes de biens. Deux questions importantes de la théorie économique de la monnaie se rapportent à cette idée : savoir pourquoi et combien les agents en détiennent – c'est la question de la demande de monnaie – et savoir pourquoi et comment varient l'activité et les prix si sa quantité disponible se modifie – c'est la question de l'offre de monnaie. Mais la monnaie n'est pas la seule promesse de biens dans une économie, il en va de même de toute créance. Ici survient la question essentielle de la théorie économique de la monnaie – et la réponse engage la réponse aux deux questions précédentes : qu'est-ce qui distingue la monnaie des créances ?
Nature et fonctions de la monnaie
Accepteriez-vous de vous séparer de 15 grammes d'argent en échange de 10 grammes ? Cette question est au centre des querelles théoriques sur le statut de la monnaie depuis la controverse entre Jehan de Malestroit et Jean Bodin, dans la seconde moitié du xvie siècle. Une réponse positive nécessite que vous pensiez à votre tour pouvoir échanger ces 10 grammes d'argent contre 15 grammes, ou contre leur équivalent en biens et services. Ainsi, à l'époque de Charles IX, la livre tournois (dont la parité à l'argent était d'environ 15 grammes) pouvait contenir moins d'argent que ce contre quoi elle s'échangeait, parce qu'elle bénéficiait de la frappe, garantie portée par le sceau de l'émetteur – le Prince, jouissant du droit de « seigneuriage », ou le banquier, comme lors de l'invention de la frappe en Anatolie, semble-t-il vers 630 avant l'ère chrétienne. Ainsi, la monnaie est un signe et elle se distingue, en tant que tel, de la chose qui lui sert de véhicule. Toute monnaie est fiduciaire et repose sur la confiance de ses détenteurs, leur croyance dans le pouvoir de l'utiliser lors des échanges pour la valeur qu'elle est censée représenter : la livre tournois était un droit de tirage socialement garanti sur 15 grammes d'argent (ou leur équivalent[...]
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Écrit par
- Patrick VILLIEU : professeur de sciences économiques à l'université d'Orléans
Classification
Médias
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