MONOLOGUE, notion de
Le terme est avant tout utilisé pour le théâtre, où il désigne les scènes où un acteur parle seul – parole soit ostensiblement adressée au public (dans le cadre d'une dramaturgie non dramatique), soit supposée révéler un discours que le personnage se tient à lui-même (discours intérieur conventionnellement donné à entendre, ou parole échappée à haute voix sous le coup de l'emportement passionnel). Dans le cadre romanesque, le terme désigne plus spécifiquement (en particulier sous les aspects du monologue intérieur) le discours traduisant les pensées intimes d'un personnage, que le narrateur transpose, et éventuellement mêle à sa propre voix.
Le monologue, chant et crise
Le monologue n'est pas intrinsèquement problématique au théâtre, tant que celui-ci prend ostensiblement en compte la présence du public comme destinataire. Il s'inscrit alors dans la lignée narrative de l'art des conteurs et des jongleurs, et peut même constituer un genre autonome, très courant dans le théâtre médiéval, majoritairement sous la forme de discours parodiques : ainsi les sermons joyeux ou les monologues de soldats fanfarons comme Le Franc Archer de Bagnolet (xve siècle). Dans la dramaturgie renaissante encore, le monologue n'est pas considéré comme un élément perturbateur de la mimèsis : il participe pleinement, au même titre que le dialogue et le chœur, du langage théâtral. Dans des poétiques de la discontinuité telles que celles du théâtre shakespearien ou du théâtre du début du xviie siècle français, il occupe encore une place importante, et offre des moments particulièrement appréciés de la représentation des passions. Ornements poétiques et lyriques, les monologues constituent également des marqueurs dramaturgiques privilégiés. Leur jeu permet l'organisation de la contradiction en mettant en évidence, au sein de la représentation globale, la concurrence de points de vue internes.
C'est l'instauration de l'horizon dramatique, et par conséquent du dialogue comme médium privilégié de la représentation mimétique de l'action interhumaine, qui rend son statut problématique. Le monologue correspond alors à un moment exceptionnel de climax pathétique et /ou de reconsidération et d'examen, par un personnage, de la situation – moment de prise en charge singulière des enjeux du conflit interhumain. Expression d'un dilemme que le héros doit résoudre par la prise d'une décision (les stances du Cidchez Pierre Corneille), ou des incertitudes et des revirements de personnages manifestés dans un ébranlement pathologique (au sens propre) de leur moi (Jean Racine), il apparaît non seulement comme marquant des moments cruciaux de l'action, mais aussi comme le miroir du personnage et de tous les leurres qui lui sont liés : le lieu où le dramaturge laisse deviner au spectateur l'expression d'une intériorité problématique. Le xviiie siècle exploitera le monologue pour associer à la représentation la présence d'un regard subjectif privilégié (Dorval, dans Le Fils naturel de Denis Diderot, 1757), ou encore pour livrer un décrochage, entre introspection et récit de bateleur, dans lequel le personnage pourra s'interroger sur l'impossible unité d'une identité inassignable (« sans savoir [...] même quel est ce moi dont je m'occupe », dit Figaro dans Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, 1784). Le monologue moderne s'engage ainsi sur les voies d'une valorisation pathétique et morale de l'expression subjective, tout en laissant généralement entrevoir une identité irrémédiablement diffractée : comme si l'examen de soi devait achopper sur l'inexprimable du sentiment et de la psyché. Des décrochages propres aux longs « tunnels » hugoliens à l'agitation proche de la folie des monologues de Lorenzaccio[...]
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Écrit par
- Christophe TRIAU : professeur en études théâtrales à l'université Paris-Nanterre, unité de recherche HAR - Histoire des arts et des représentations
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