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MONSIEUR GALLET, DÉCÉDÉ, G. Simenon Fiche de lecture

Maigret, le « raccommodeur de destinée »

Monsieur Gallet, décédé constitue un exemplaire prototype de ce que seront tous les Maigret. Non pas des enquêtes criminelles où il s'agit de recueillir et d'analyser scientifiquement des indices, mais des investigations où l'enjeu est de résoudre l'énigme d'une existence. Pour y parvenir, Simenon a créé une figure d'enquêteur atypique, très éloignée des critères habituels du détective. « Au début, explique l'auteur, Maigret était assez simple. Un gros homme placide qui croyait plus à l'instinct qu'à l'intelligence, qu'à toutes les empreintes digitales et autres techniques policières. Il en usait d'ailleurs, comme il y était obligé, mais sans trop y croire. »

Guidé par l'intuition, méfiant à l'égard des théories, Maigret est d'abord un homme de terrain qui délaisse volontiers son bureau du quai des Orfèvres pour s'immerger dans les lieux du crime. Chacune de ses enquêtes va permettre l'évocation d' un site nouveau, doté d'une faune et de modes de vie particuliers, avec une prédilection marquée pour les petites villes de province, les ports ou les îles, bref tous les huis clos où fermentent de misérables tas de secrets. Après le moment de l'immersion vient le temps de l'imprégnation, où Maigret semble absorber l'atmosphère ambiante comme il inhale la fumée de son éternelle pipe ou vide d'innombrables verres de vin ou de bière. Cette technique, qui n'est pas sans rappeler celle du psychanalyste et son principe d'« attention flottante », lui permet peu à peu d'entrer dans la peau des personnages et, par un processus d'empathie, de se mettre à leur place : « Encore était-ce la photographie qui vivait le plus dans son esprit. Et justement, il essayait de l'animer, de se figurer Mr Gallet en tête à tête avec sa femme. »

La mise en œuvre de cette osmose nécessite une longue période de rumination, durant laquelle l'action paraît figée. Aussi les Maigret apparaissent-ils comme des romans quasi statiques, ponctués seulement par les événements anodins du quotidien : le temps des repas, les discussions de comptoir, les déambulations, la pluie qui tombe, un chien qui erre...Une fois que l'absorption de la réalité est achevée, une indéfinissable alchimie en libère la vraie nature, et c'est alors que la vérité se fait jour.

Là encore, les récits échappent aux conventions habituelles des dénouements où il s'agit simplement de livrer un coupable à la justice. Ils ne débouchent pas sur une morale. Maigret ne juge pas ; son rôle est de comprendre et, parfois, de compatir. Simenon en a fait un plébéien, plus à l'aise auprès des humbles que des nantis, qui a vu toutes les misères humaines. Il en fait aussi quelqu'un de massif, pesant son bon quintal. Non pas seulement pour qu'il constitue une référence rassurante au milieu d'un réel incertain, mais pour qu'il incarne une image paternelle, représentant l'autorité et la loi en même temps que la bienveillance : sachant qu'il n'a aucune charge contre le faux Saint-Hilaire, « Maigret le regarda pendant une minute au moins, sans bouger, les yeux brillants. Sa grosse main se leva ». Maigret a conscience que les individus qu'il arrête sont des ratés ou des déchus et que, avant même d'être sanctionnés, ils ont déjà commencé d'expier. S'il deviendra par la suite plus routinier ou plus popote, il incarne dès l'origine une authentique figure de rédemption, dont la mission est de permettre à des êtres en rupture ou en marge de réintégrer la communauté des hommes. C'est pourquoi Simenon le surnommait le « médecin des âmes » ou le « raccommodeur de destinée ».

— Philippe DULAC

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

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