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MONSIEUR LE PRÉSIDENT, Miguel Angel Asturias Fiche de lecture

Né en 1899 dans une famille de la classe moyenne guatémaltèque, Miguel Ángel Asturias est marqué par la longue dictature d'Estrada Cabrera (1898-1920) et par les séismes qui détruisent la capitale en 1917 et 1918. Après des études de droit, il s'installe à Paris en 1924 : années décisives où il découvre le surréalisme, l'américanité, les textes sacrés des Mayas. Diplomate à partir de 1946, il réside successivement au Mexique, en Argentine, puis en France, terre d'élection. Il reçoit en 1966 le prix Lénine de la paix et en 1967 le prix Nobel de littérature. Il meurt en 1974. Enterré au cimetière du Père-Lachaise, il a légué ses manuscrits à la Bibliothèque nationale.

Monsieur le Président est sans doute l'œuvre la plus connue d'Asturias en raison de son message politique. Il importe d'en souligner le caractère pionnier : on sait aujourd'hui que le roman a été écrit pour l'essentiel à Paris, entre 1925 et 1932, à partir d'un conte plus ancien qui constitue le premier chapitre. Cette version originale, d'abord intitulée Tohil (divinité maya du feu et de la mort), est refusée par plusieurs éditeurs et publiée à compte d'auteur en 1946 (Costa-Amic, Mexico) sous son titre actuel. Passé inaperçu, le roman est réédité en 1948 par Losada et connaît alors un très grand succès. En 1952, il est repris par le même éditeur avec quelques modifications : c'est la version définitive.

Un office des ténèbres

Roman des années 1920, Monsieur le Président est contemporain d'épopées telluriques telles que Doña Bárbara de R. Gallegos (1929) ou La Vorágine de J. E. Rivera (1925) Les voies narratives qu'emprunte Asturias sont différentes et autrement novatrices. On y décèle l'influence qu'exerce le surréalisme sur les Américains résidant à Paris, en particulier comme révélateur des grands mythes autochtones. Dans son commentaire sur la genèse de l'œuvre (« Monsieur le président comme mythe »), le romancier a lui-même souligné le caractère freudien de l'emprise surréaliste, qui a légitimé chez de nombreux écrivains le surgissement d'un « inconscient indigène ». L'irruption du dieu Tohil au chapitre xxxvii en constitue un exemple frappant.

Le roman présente une trame linéaire dont l'axe est la figure maléfique d'un despote sans nom. L'assassinat d'un officier, suppôt du régime, déclenche une vague répressive, orchestrée avec sadisme par le plus haut magistrat du pays : « Le soir tomba. Ciel vert. Campagne verte. Dans les casernes sonnaient les clairons de six heures, relent de tribu en alerte et de place médiévale assiégée. Dans les geôles, commençait l'agonie des prisonniers qu'on tuait à tire d'ans. » Le principal opposant, le général Canales, s'exile, laissant une fille dont s'éprend le favori du Président, Visage d'Ange, qui l'épouse. Il perd la faveur du dictateur et meurt après d'atroces souffrances physiques et morales. Canales étant mort en exil, c'est le triomphe de la barbarie dans un pays qui n'oppose plus de résistance. Seule la présence, à la fin du livre, d'un étudiant révolutionnaire permet de garder une lueur d'espoir. Loin des « lendemains qui chantent », l'œuvre propose une radiographie de la dictature en Amérique latine. Rien n'y est oublié, de la lâcheté des classes moyennes à l'omniprésence des forces répressives, de la corruption de la justice à la délation généralisée. Les coups de crosse, les exécutions sommaires, les orgies présidentielles, les cris lancinants des torturés et des emmurés dans l'ombre des souterrains, tout évoque une sorte d'office des ténèbres qu'illuminent brièvement les amours pures du favori et de sa compagne.

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  • ASTURIAS MIGUEL ÁNGEL (1899-1974)

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    En 1946 va paraître son deuxième livre, commencé à Paris : Monsieur le Président. Outre sa qualité littéraire, c'est le sujet qui fait l'intérêt du livre. Il s'agit du problème de la dictature latino-américaine, décrite dans un contexte caricatural. Inspiré de la réalité –...