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MONUMENT

À son origine, la notion de monument est étroitement liée à celle de mémoire. En latin, monumentum dérive de monere (« avertir », « rappeler »). Dans l'acception la plus large du terme, est un monument, comme l'écrit Françoise Choay (L'Allégorie du patrimoine, 1991), tout artefact édifié par une communauté d'individus pour se remémorer, ou faire se remémorer à d'autres générations, des personnes, événements, rites ou croyances. La longue histoire des monuments croise inévitablement celle de l'écriture, qu'elle accueille de manière variable selon les époques et les civilisations. Dans sa signification la plus étendue, le monument est donc une création délibérée dont la destination est fixée a priori.

À ce type de monument s'en oppose un autre, celui de monument historique, qui n'existe que dans le regard le constituant a posteriori comme élément signifiant du passé. De fait, la fonction mémorielle originelle du monument a connu bien des évolutions, jusqu'à se brouiller progressivement, sinon s'effacer. C'est à une tout autre fonction symbolique que semblent aujourd'hui répondre les monuments, signaux urbains ou patrimoniaux, symboles exubérants du pouvoir ou de la technique, plus que signes renvoyant à un passé explicite.

Les monuments de l'Antiquité

À l'intersection de l'art public et de la mémoire politique, le monument semble avoir toujours existé. Il se confond avec l'architecture funéraire de l'Égypte antique, ou avec l'architecture publique propre à la cité grecque. Cette double dimension traverse les écrits des historiens de l'Antiquité, Thucydide ou Pausanias, lequel, dans sa Périégèse de la Grèce (seconde moitié du iie siècle apr. J.-C.), décrit les monuments publics renvoyant à un modèle politique désormais révolu. Précisément, la dimension publique des monuments de l'Antiquité et la possibilité de les réinvestir définiront longtemps leur perception. La célèbre statue de l'empereur romain Marc-Aurèle restera pendant le Moyen Âge auprès de la basilique Saint-Jean-de-Latran à Rome, les fidèles y voyant l'effigie du premier empereur chrétien, Constantin. À côté de cette diffusion ostentatoire de l'Antiquité, il faut considérer les multiples manifestations, avant la Renaissance, d'une convivialité naturelle avec les monuments d'époques révolues. Les colonnes de temples antiques sont remployées pour construire palais ou églises. Transformations et tradition sont alors indissociables ; pillés ou réutilisés, les vestiges de l'Antiquité n'ont pas encore acquis le statut de monuments, au sens moderne du terme. À cette forme particulière d'utilisation des ruines correspond un sens marqué de l'autorité des anciens.

La phase suivante, comme l'a établi l'historien de l'art Salvatore Settis (« Des ruines au musée. La destinée de la sculpture classique », in Annales ESC, no 6, 1993), sera celle d'une croissance graduelle du sens de la distance historique. L'antique cesse d'être indéfini et proche, facilement accessible, aisément utilisable. Le fragment devient témoignage et l'auctoritas se mue en vetustas. Désormais, la mémoire sous-tend la pratique de l'antique, témoignage d'un temps passé. On le voit notamment chez Pétrarque et dans son cercle, où l'Antiquité devient un modèle interprétable et une époque distante. Mais c'est alors le texte, et non les ruines, qui donne accès à ce passé. Avec l'architecte et théoricien Leon Battista Alberti s'opère ensuite une véritable rupture dans le regard porté sur les vestiges de l'Antiquité, chargés d'une valeur mémorielle, mais surtout d'une valeur esthétique, qui tend à l'emporter. Dans son traité De re aedificatoria (1452),[...]

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Écrit par

  • : ancien pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art, chargé de cours à l'École du Louvre
  • : conseiller scientifique à l'Institut national d'histoire de l'art, chargée de conférences à l'École pratique des hautes études

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