MONUMENT
Vers la notion de monument historique
L'âge classique sera celui des « antiquaires ». Ces amateurs élargiront considérablement le champ des monuments en s'intéressant aux vestiges d'autres époques, qui composent la catégorie des « antiquités nationales ». En 1729, le Français Bernard de Montfaucon entame la publication de ses Monuments de la monarchie française, distinguant les monuments de la « belle Antiquité » de ceux qui appartiennent aux « âges obscurs », et relèvent précisément du domaine des antiquités nationales. En Angleterre, cet élargissement favorise dès le xviiie siècle le goût pour le gothique. Mais c'est avec la Révolution française que s'instaure une nouvelle conscience patrimoniale. Le grand érudit français Aubin-Louis Millin est sans doute le premier à utiliser le terme de « monuments historiques », lorsqu'il présente en 1790, devant l'Assemblée nationale constituante, le premier volume de ses Antiquités nationales ou Recueil de monuments. Cependant, son projet est de sauver ces monuments par l'image, en en conservant la physionomie. En France, la notion de monuments historiques attendra donc encore quelques années avant d'être consacrée par Guizot, alors ministre de l'Intérieur, qui crée en 1830 le poste d'inspecteur des monuments historiques, élément essentiel selon lui dans l'affermissement du sentiment national. Désormais inscrite dans l'ordre juridique et politique, la notion permettra de soustraire à l'usure du temps, à la négligence ou au vandalisme, des monuments aussi importants que l'église abbatiale de Saint-Savin-sur-Gartempe, grâce à la clairvoyance d'un des premiers inspecteurs, Prosper Mérimée.
Alors que, dans la seconde moitié du xixe siècle, la plupart des nations européennes se sont dotées de dispositifs juridiques destinés à assurer la préservation de leurs monuments historiques, cette catégorie apparaît éminemment problématique. Posant la question essentielle de l'historicité de l'architecture du présent, le Britannique John Ruskin s'intéresse aux ensembles urbains (Les Sept Lampes de l'architecture, 1849, trad. franç., 1900). Critiquant ceux qui ne voient que la « richesse isolée des palais », il lance la notion de « bien européen ». La catégorie des monuments historiques commence à embrasser l'espace urbain : en 1913, l'Italien Gustavo Giovannoni élabore le concept d'« architecture mineure », partie intégrante de ce nouveau monument qu'est l'ensemble urbain ancien. Chez l'historien et architecte autrichien Camillo Sitte (L'Art de bâtir les villes : l'urbanisme selon ses fonctions artistiques, 1901), la ville, dans sa tension entre le passé et son devenir historique, n'en a pas moins le statut d'un monument.
Mais la réflexion majeure se trouve chez un autre Viennois, l'un des fondateurs du formalisme en histoire de l'art, Aloïs Riegl. Avec Le Culte moderne des monuments (1903), il tente d'établir la multiplicité des valeurs qui entrent en concurrence dans cette nouvelle « religion » et dans la politique que les pouvoirs publics doivent mettre en œuvre. Le monument historique, dont il situe la naissance au xvie siècle, ne peut se définir en dehors des valeurs dont il a été investi au cours de l'histoire : ainsi, la valeur de remémoration s'oppose à celle de contemporanéité, la première étant liée à celle d'ancienneté. Autre polarité fondamentale : la valeur d'histoire ou d'histoire de l'art s'oppose à la valeur d'art. Cette dernière peut être décomposée en deux : la valeur d'art relative, à travers laquelle les œuvres d'art du passé entrent en résonance avec la sensibilité moderne, et la valeur de nouveauté, qui accorde aux créations récentes une supériorité sur les monuments anciens. Dans l'esprit de Riegl, ce « polythéisme[...]
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Écrit par
- François-René MARTIN : ancien pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art, chargé de cours à l'École du Louvre
- Alice THOMINE : conseiller scientifique à l'Institut national d'histoire de l'art, chargée de conférences à l'École pratique des hautes études
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