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MOON PALACE, Paul Auster Fiche de lecture

Un « grand livre » de l'Amérique

Au point ultime de son expérience des limites, M. S. Fogg bascule du silence aphasique de l'après désastre au monologue extravagant des inventeurs de mondes. À l'image du Neveu de Rameau, sa tête est un « pandémonium » de pensées rhapsodiques. Il fabule. Il raconte l'histoire de la Lune dans ses diverses versions, de Lucien à Cyrano de Bergerac. L'Amérique est une des possibles versions du royaume de la Lune, mais le voyageur qui l'explore aujourd'hui a lu Blanchot, Jabès, Du Bouchet, Paul Celan. Lorsque le monde de M. S. Fogg a implosé dans le trou noir de sa solitude, il a en même temps explosé, déployant à l'ouest la vaste toile d'un nouvel espace : « Je roulai sans interruption pendant douze heures. La nuit tombait lorsque j'arrivai dans l'Iowa, et le monde se réduisait peu à peu à une immensité d'étoiles. Hypnotisé par ma propre solitude, j'aurais voulu ne pas m'arrêter aussi longtemps que je garderais les yeux ouverts, et je fixais la ligne blanche sur la route comme si elle eût représenté mon dernier lien avec la terre. » Pour Fogg, le continent américain apparaît alors comme une fresque rupestre peinte sur les parois de sa boîte crânienne, ou un monde qu'il projetterait depuis la camera oscura de sa conscience. À travers les récits de voyage, M.  S. Fogg remonte ainsi jusqu'aux origines de l'Amérique, et décrypte du même coup l'énigme de sa propre origine : il retrouve son père, qui avait disparu des archives, dans la personne d'un énorme géant, un Moby Dick des prairies. Puis il marche vers l'ouest, jusqu'au rebord du continent : la fin du monde.

Encyclopédie solipsiste, Moon Palace est composé des segments éclatés d'un « grand livre » de l'Amérique. On y perçoit, en filigrane, diverses figures de la fiction américaine d'aujourd'hui : Saul Bellow, Walker Percy, William Burroughs, John Updike, Don DeLillo, F. L. Doctorow enfin et peut-être surtout. Mais le proche et le lointain se téléscopent assez puissamment pour faire de Moon Palace une sorte de traité des lieux et des tropes américains depuis les origines.

— Pierre-Yves PÉTILLON

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Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure

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