MORALE (sociologie)
Morales de classe et jugements moraux
S’il a dans une certaine mesure été prolongé par Georges Gurvitch dans Morale théorique et science des mœurs (1937), ce projet durkheimien s’évanouit après la Seconde Guerre mondiale. Sous l’influence des « maîtres du soupçon » – Nietzsche, Freud et Marx – se développe un regard davantage critique sur la morale, réduite à des normes de comportement et des valeurs auxquelles les classes sociales dominantes et l’État soumettraient le reste de la société. En fait de morale, il n’y aurait en réalité que des « morales de classe ». Ainsi l’institution familiale, par exemple, cruciale tant pour les moralistes que pour Durkheim, peut-elle apparaître comme l’instrument d’une entreprise de « moralisation » des classes populaires, se jouant dès la prime enfance (Luc Boltanski, Prime éducation et morale de classe, 1969 ; Rémi Lenoir, Généalogie de la morale familiale, 2003).
Parallèlement, les tenants de l’interactionnisme symbolique, un courant qui se développe d’abord aux États-Unis, font valoir que les jugements de moralité portés sur un comportement ou un individu dépendent des contextes socio-historiques et des situations. Rien, autrement dit, n’est moral ou immoral en soi. Erving Goffman étudie ainsi les inflexions de la « carrière morale » des malades internés dans un hôpital psychiatrique (Asiles, 1961), tandis que Joseph Gusfield à propos de la consommation d’alcool (SymbolicCrusade, 1963) et Howard Becker à propos de celle de marijuana (Outsiders, 1963) montrent comment des « entrepreneurs de moral » parviennent à imposer leurs normes et valeurs à l’ensemble d’une société. C’est aussi dans cette perspective qu’est forgée la notion de « panique morale » (Stanley Cohen, Folk Devils and Moral Panics, 1972) pour rendre compte des réactions disproportionnées que peuvent déclencher les médias en amplifiant certains événements ou problèmes, dès lors perçus comme des menaces pour la société.
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Écrit par
- Gérôme TRUC : docteur en sociologie de l'École des hautes études en sciences sociales, chercheur associé au Centre d'études des mouvements sociaux, Institut Marcel Mauss (C.N.R.S.- École des hautes études en sciences sociales)
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