MORELLY (1717 env.-env. 1778)
Bien qu'il fût l'un des principaux représentants du socialisme utopique et l'inspirateur de Babeuf (qui se réclama du Code de la nature au cours de son procès) ainsi que de la génération suivante, Morelly demeure mal connu. Certains auteurs vont même jusqu'à soutenir qu'il y a eu deux Morelly. Plusieurs documents permettent toutefois d'avancer que les œuvres signées de ce nom ont pour auteur un abbé Morelly, qui fut régent du collège de Vitry-le-François vers 1756. L'obscurité qui entoure sa vie est aisément explicable, dans la mesure où ses thèses n'ont pas acquis leur plein rayonnement de son vivant, mais seulement avec les socialistes des générations postérieures.
Morelly apparaît comme le contraire d'un spécialiste étroitement enfermé dans les limites d'un seul domaine ; ses préoccupations diverses le conduisent à s'interroger sur tous les aspects du développement humain. Tout d'abord et sans doute en raison de ses fonctions supposées au collège de Vitry-le-François, il s'intéresse à la pédagogie et rédige un ouvrage en deux volumes sur Les Principes naturels de l'éducation (1743-1745). Il en vient ensuite aux questions plus abstraites des mécanismes des sensations (Physique de la beauté, 1748).
Mais l'on retient surtout de lui ses œuvres politiques : le Naufrage des îles flottantes ou La Basiliade, épopée parue en 1753, et le Code de la nature (janv. 1755), son œuvre maîtresse, qui fut attribuée à Diderot pendant plus de cinquante ans. L'idée de la nature sous-tend l'ensemble de la doctrine de Morelly. L'homme, selon lui, peut être défini à partir d'un certain nombre de caractéristiques « naturelles », qui sont communes à tous et qu'il importe de respecter. La nature est « une, constante, invariable », et il s'agit de découvrir ses lois et de s'y conformer. Les implications de ce principe apparaissent déjà dans les textes de Morelly sur l'éducation, lesquels tentent de dégager une méthode pour éviter que les préjugés, les erreurs des éducateurs n'aient une influence néfaste sur les qualités naturelles des enfants. La nécessité d'un processus de perfectionnement est un thème constant dans l'œuvre de Morelly, qui est passionnément convaincu que le progrès est la « loi générale de la nature ». Cette idée centrale prend toute sa portée lorsqu'il développe son projet d'organisation sociale et politique.
Si Morelly, qui n'est guère économiste, condamne sévèrement la propriété privée, c'est en raison de l'égoïsme que traduit cette institution et des conséquences désastreuses qu'elle introduit dans les rapports interpersonnels. De même, cette dimension morale de son œuvre est indispensable pour comprendre le modèle de société qu'il propose et dont il donne une description détaillée dans le Code de la nature. Ses choix sociaux et politiques sont dictés par la préoccupation de construire une société qui soit en adéquation avec la nature de l'homme et qui favorise l'épanouissement de la qualité humaine fondamentale : la probité.
Dans cette perspective, Morelly élabore un système qui, d'après lui, n'est pas une construction purement imaginaire, mais fait référence à un « âge d'or », époque que presque tous les peuples ont connue et que l'on peut d'ailleurs encore observer, au xviiie siècle, chez les populations d'Amérique du Nord. La société idéale, qui est fondée sur ce modèle et qui a un caractère centralisateur accusé, obéit à trois lois « fondamentales et sacrées » qui ne peuvent être ni modifiées ni même discutées. En premier lieu, elle ne doit plus comporter aucune propriété personnelle, sauf pour « les besoins, les plaisirs, ou le travail journalier des individus ». La deuxième loi garantit, pour tout citoyen,[...]
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Écrit par
- Christine BARTHET : licenciée en droit, diplômée de l'Institut d'études politiques de Paris
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