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MORONOBU HISHIKAWA (mort en 1694)

Le génie de l'illustrateur

S'il fut remarquable comme peintre, Moronobu conquit une célébrité inaltérable par son œuvre gravé. De 1670 à 1685, il paraît y avoir consacré le plus clair de son temps. Il fut d'ailleurs l'un des illustrateurs les plus féconds de toute l'histoire de l'ukiyo-e : on ne dénombre pas moins de cent cinquante ouvrages auxquels il collabora en dix ans. Il y aborda les sujets les plus divers, depuis les conseils horticoles jusqu'aux scènes amoureuses, celles-ci formant une part plutôt restreinte.

Les débuts de la xylographie profane remontent aux environs de 1600. Dans un écart croissant d'avec les traditions classiques, elle évolua comme la peinture de genre, à la recherche d'une expression personnelle. C'est surtout à Edo, après le grand incendie de 1657 qui fit disparaître toute trace de publication illustrée, que se dessine le style de l'ukiyo-e. Encore mal affermi et quelque peu grossier, il progresse pendant les années 1660, surtout à travers les manuels de sexualité et les recueils critiques des courtisanes. Mais il lui manque un chef de file. Parmi les ouvrages les plus anciens et les plus beaux de style ukiyo-e, il faut citer Yoshiwara makura (L'Oreiller de Yoshiwara, anonyme, 1660) : cet ouvrage annonce Moronobu par la grâce du trait et le soin de la composition. Beaucoup d'historiens d'art le lui attribuent d'ailleurs, ainsi qu'un bon nombre des illustrations produites au cours des années 1660. Mais on ne peut retracer sûrement l'itinéraire artistique du maître qu'à partir de 1672, avec sa première œuvre signée : Buke hyakkunin isshu (Les Cent Poètes guerriers).

Moronobu est arrivé à point nommé pour unifier les diverses tendances suivies en xylographie. Bien plus, il va fixer l'idéal d'une époque. Si, pour commencer, il s'inspire de ses devanciers anonymes d'Edo, très rapidement il atteint un style personnel, dégagé de toute gaucherie. Quel que soit le sujet abordé, on sent la recherche du beau, non pas la joliesse facile. Il met au point l'inimitable « ligne chantante » sans raideur ni sécheresse, ondoyante, dynamique et vigoureuse, qui délimite les plans autant qu'elle traduit l'émotion. Ses œuvres offrent, dans leur densité, des contrastes si puissants que le trait noir et le papier blanc rendent la couleur superflue. Et dans les quelques cas où l'on a colorié les estampes de Moronobu, le pouvoir de suggestion s'en trouve amoindri.

Moronobu fit peu d'ichimai-e (estampes séparées), jamais signées, tandis qu'il pratiqua abondamment un genre intermédiaire entre l'illustration et l'estampe volante : l'e-hon (livre d'images). Cette forme d'art, typiquement et exclusivement japonaise, consiste en une succession de gravures, liées entre elles par un thème très lâche, le texte étant réduit à l'extrême, quand il ne fait pas défaut. Avec ses visées artistiques et non plus littéraires, l'e-hon exigeait soin et beauté ; Moronobu lui donna la perfection.

Alors que la peinture ne s'adressait qu'à une élite fortunée, que les ichimai-e, généralement érotiques au xviie siècle, avaient leur public réservé, aisé en tout cas, l'e-hon se trouvait être la forme d'art la plus démocratique. Dans l'immense contribution de Moronobu à ce genre, d'aucuns discernent une intention de mettre l'art à la portée de tous, un souci d'éduquer le peuple.

À l'inverse de ses précurseurs qui, pour la plupart, ne sortirent pas de l'anonymat, Moronobu imprima à l'Ukiyo-e une marque durable. C'est à lui que revient l'honneur d'avoir posé solidement les assises du jeune mouvement, car il y fut probablement le premier maître à former des élèves et à laisser un atelier. Aussi son style, loin de s'éteindre avec lui en 1694, allait-il inspirer[...]

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Écrit par

  • : conservatrice des collections Japon, Chine et Corée aux Musées royaux d'art et d'histoire, Bruxelles, gestionnaire des musées d'Extrême-Orient

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  • JAPON (Arts et culture) - Les arts

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    ...réalisme. L'unification des styles au sein d'un mouvement cohérent et autonome se fit dans la seconde moitié du xviie siècle à Edo, autour de Hishikawa Moronobu (vers 1618-1694). La période qui s'étend de 1670 environ à 1764 – qualifiée généralement de primitive – fut celle des conquêtes techniques, soit...