MORPHOLOGIE (psycholinguistique)
Pratique langagière de l’adulte
Nous avons l’habitude de considérer intuitivement que les mots constituent les unités de sens de la langue. Toutefois, si l’on considère les deux phrases suivantes : « ma grand-mère a un dentiste génial » et « ma grand-mère a un dentier génial », on comprend que ce n’est pas toujours le cas. Ces deux phrases sont formellement très proches. Elles sont constituées des mêmes éléments à l’exception des parties finales des mots « dentier » et « dentiste », qui sont des suffixes, ce qui permet d’obtenir deux phrases avec deux sens différents. Les morphèmes sont donc les plus petites unités de sens véhiculées par la langue, qui peuvent être soit des éléments libres, il s’agit des racines (« dent » dans « dentiste »), soit des éléments liés, les affixes (préfixes et suffixes) qui n’existent pas comme formes libres – et donc ne peuvent apparaître que combinés à d’autres –, mais véhiculent un sens précis (« relire », « délicatesse »).
Comprendre ou produire un message verbal engage un ensemble de traitements langagiers. L’exemple précédent permet d’envisager l’hypothèse que le traitement morphologique serait systématiquement mis en œuvre par le système cognitif du locuteur qui utilise le langage. Le traitement morphologique consiste à détecter, identifier et accéder au sens des morphèmes constituant un mot puis à combiner leurs sens respectifs afin d’élaborer le sens du mot entier et le comprendre. Pour accéder au sens de chacune des deux phrases ci-dessus, le locuteur doit effectuer un traitement morphologique systématique des mots qu’il lit ou entend. La nécessité d’un tel traitement ressort en particulier d’une analyse lexicologique conduite sur le lexique du français, qui rapporte que 75 p. 100 des mots de notre vocabulaire sont constitués d’au moins deux morphèmes. Ces mots sont alors qualifiés de « plurimorphémiques », ce qui les distingue des mots dits « monomorphémiques », c’est-à-dire composés d’un seul morphème (« dent »). Dans cet article, nous nous intéresserons principalement aux mots plurimorphémiques, en raison de leur prépondérance dans notre vocabulaire.
L’hypothèse d’un traitement morphologique engagé systématiquement pour comprendre ou produire un message verbal peut donc sembler intuitivement plausible. Cependant, la nature de l’information morphologique et son traitement font encore débat. Les données proviennent en majorité de l’étude de la lecture adulte experte et, plus particulièrement, d’une de ses composantes, la reconnaissance des mots écrits. D’autres données, en nombre plus limité, proviennent du langage oral et de la production.
Le mode de représentation en mémoire de la structure morphologique des mots
Une des questions vives de la recherche dans le domaine de la morphologie consiste à se demander s’il est pertinent de concevoir l’existence d’un niveau de représentation morphologique spécifique dans la mémoire du lecteur ou de l’auditeur, et ce, au même titre qu’un niveau de représentation orthographique, par exemple. Ce débat, initié dans les années 1990, oppose deux conceptions du mode de représentation en mémoire de la structure morphologique des mots. La première, correspondant aux modèles symboliques, envisage que chaque mot complexe possède en mémoire un code ou une représentation qui décrivent chaque morphème le composant. Un système de règles morphologiques permettant de les recombiner serait également stocké en mémoire.
La relation morphologique entre deux mots (« laitage » et « laiterie ») implique un partage de propriétés à la fois formelles (orthographiques ou phonologiques) et sémantiques, conférant aux morphèmes un statut d’entités linguistiques abstraites. Cette constatation a conduit certains chercheurs à proposer une seconde conception du stockage[...]
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Écrit par
- Séverine CASALIS : professeure des Universités
- Pascale COLÉ : professeure des Universités, vice-doyenne à la recherche, faculté des arts, lettres, langues et sciences humaines, université d'Aix-Marseille
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