MORT Les interrogations philosophiques
Phénoménologie de la mort
En opposant problème et mystère, le néo-socratisme de Gabriel Marcel illustre bien la réaction de la nouvelle philosophie. Vouloir analyser objectivement le problème de la mort ne nous en fait pas accepter la nécessité. La pensée rationnelle espérait en exorciser l'épreuve, mais en vain. La mort n'est pas un thème de spéculation, mais une expérience à vivre comme un mystère. La méthode husserlienne, ou phénoménologie, y aidera, précédée par l'existentialisme abrupt de Kierkegaard pour qui la pensée est l'ennemie de l'existence.
Or la mort est un moment décisif de l'existence : c'est donc celle-ci qu'il faut interroger sur la nature de l'expérience et sur ses virtualités. Il ne s'agit plus de la mort mais de « ma mort », et le ton des philosophes va se passionner en se faisant subjectif.
La mort ponctuelle
Peut-on parler de la mort comme d'un événement instantané et soudain, sans épaisseur ni préavis ? C'est à cette mort que se réfèrent les épicuriens comme Lucrèce, les stoïciens comme Sénèque, Marc Aurèle et Épictète, et plus tard Montaigne, en lui opposant une fin de non-recevoir. La mort n'est objet d'aucune expérience, ni intellectuelle, ni imaginative, ni sensible : « Si la mort est là, je ne suis plus. Si je suis, elle n'est pas là » (Épicure). En effet, la mort conçue comme un surgissement frappe d'impossibilité tout constat, puisqu'elle suspend les puissances de constat. Mais on peut se demander si cette transposition logique d'un événement qui déjoue la logique n'est pas avant tout une thérapeutique contre l'angoisse.
Sans vouloir rendre pensable ou imaginable une disparition hors de l'expérience pour laquelle nous n'avons aucun moyen d'approche, la mort radicalement ponctuelle ne frappe que certains accidentés. Aujourd'hui, d'ailleurs, on insiste sur le fait que l'agonie psychique ne coïncide pas nécessairement avec la mort physique et que l'instant précis de la mort humaine est sujet à controverse. De même en est-il pour la « mort apparente » suivie de réanimation. Mais, de plus, si la mort propre se présente au sens strict comme ponctuelle puisque la conscience chavire sans se voir chavirer, il n'en est pas de même de la mort d'autrui, à laquelle survit le témoin. Cette mort se mue en dimension de son expérience personnelle, l'interrogeant de sa menace incessante.
Mort et temporalité : mort propre et mort d'autrui
À la mort ponctuelle, Scheler substitue l'expérience du « mourir ». L'homme ne sympathise avec la mort d'autrui que parce qu'il y projette sa propre mort. Et il est vrai que la souffrance sensibilise et qu'inversement une certaine indifférence n'est que l'égoïsme d'une bonne santé. Maladie, intervention chirurgicale, vieillesse sont hantées par l'imminence d'une fin, qui approche, susceptible soudain de se déclarer. L'être voit se rétrécir devant lui le champ de ses projets et les perspectives de son avenir. L'horizon se bouchant, le présent se laisse envahir par le passé et l'immédiat. Même s'il écarte inconsciemment l'idée de la mort, l'être est habité par le sentiment de sa vulnérabilité. L'affrontement avec le néant-de-soi est impossible, ainsi que l'a souligné Freud, et néanmoins se dresse comme une échéance d'autant plus inquiétante que le terme en est ignoré et inéluctable.
Plus que tout autre, Heidegger fait de la temporalité l'étoffe même de l'existence. Dès qu'il s'éveille à lui-même, le Dasein est candidat à sa mort et sa vie croît à l'ombre de son deuil. De là, cette structure fondamentale de l'« être-pour-la-mort », plongeant dans un climat d'exaltation désespérée l'existant en quête[...]
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Écrit par
- René HABACHI : professeur en philosophie, ex-directeur de la division de philosophie à l'U.N.E.S.C.O.
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