MORT Les interrogations philosophiques
La mort en contestation
Les philosophies ouvertes sur un au-delà de la mort ne prétendent pas expérimenter le non-être, mais, comme le souhaitait Spinoza, entreprendre une méditation sur la vie. C'est en approfondissant la vie elle-même qu'elles débouchent sur un « chiffre silencieux » avec Jaspers ou sur une espérance avec Marcel. Passant de l'existence à l'être, par un dessaisissement du temps, elles se recueillent en une zone plus dense. Par là, la phénoménologie se réfère à une métaphysique, et la transcendance, que des philosophes comme Heidegger et Sartre réduisent à un désemboîtement horizontal de la durée, se double d'une transcendance verticale où la durée annonce son fondement, une métatemporalité qu'on peut appeler éternité. Sur cette voie cependant, Jaspers s'arrête à un agnosticisme ambivalent, alors que Marcel avance vers une invocation confiante.
Dans son livre L'Échec, Jean Lacroix souligne que la mort est l'expression radicale de l'échec : « En elle s'identifient l'absolu de l'échec subjectif et l'absolu de l'échec objectif. »
Cependant, la mort étant, pour Jaspers, la fin de l'« être empirique » et révélant le monde comme caduc, elle ouvre par là l'accès à l'existence réelle. Par elle-même, elle est une « situation limite », une nuit de l'être dont l'existant ne peut saisir le chiffre silencieux. Mais, à condition qu'il s'empêche d'imaginer une immortalité et un au-delà avec des morceaux d'existence empirique, la mort peut transformer sa vie en transcendance, et c'est là sa signification. À ce moment, « l'homme est poussé du fond de lui-même à chercher le chemin de l'être » ; et par là son expérience de la mort détermine ce qu'il va devenir.
Cette épreuve ouvre-t-elle sur un« méta-temps » ? « L'être n'est pas de l'autre côté de la mort dans le temps, mais dans la profondeur empirique présente en tant qu'éternité. » Cela signifie-t-il que l'éternité n'est pas concevable comme le prolongement purifié du temps, mais comme la densité intérieure du présent ? En quoi Jaspers aurait raison. Mais si c'est le « fondement de la transcendance » qui assure l'éternité de l'instant, s'agira-t-il d'une permanence personnelle ? Jaspers ne semble pas se permettre d'aller plus loin. Et Lacroix déclare prudemment : « Si, pour Jaspers, l'homme est immortel, son immortalité échappe à l'empirie et relève de la transcendance. »
C'est dans le même sens qu'il faut entendre l'aveu d'une héroïne de Marcel, dans La Soif : « Mourir, c'est s'ouvrir à ce dont on a vécu ici-bas. » Car la vraie vie, pour Marcel, est de reposer sur les profondeurs de l'« être » en dépassant les fulgurances de l'« avoir ». Dans un monde technicisé où règne le mécanisme des « fonctions », la mort n'est qu'une machine qui a cessé de fonctionner, et le mourant est bon à mettre au rebut. Dans ce même monde cependant, comme chacun se trouve défini par ses avoirs et ses pouvoirs, la mort est source d'angoisse parce qu'elle sonne la déroute de toute possession. Un être qui a misé sa vie sur des assurances temporelles connaît la déréliction devant sa mort parce que celle-ci est l'épreuve du dépouillement total. Mais alors, elle peut au moins ouvrir la « brèche du désespoir », grâce à quoi l'homme s'engage dans la voie du mystère de l'être.
Par la démarche de recueillement exposée dans Analyse et approches concrètes du mystère ontologique, qui est le discours de la méthode de Marcel, la conscience qui cherche à se connaître dans le miroir d'une analyse réflexive et qui en s'objectivant se découvre vulnérable et livrée[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- René HABACHI : professeur en philosophie, ex-directeur de la division de philosophie à l'U.N.E.S.C.O.
Classification
Autres références
-
ABYDOS
- Écrit par Christiane M. ZIVIE-COCHE
- 2 681 mots
- 4 médias
De cette notoriété naîtra la coutume du pèlerinage à Abydos du mort, transporté dans une barque, alors que des traditions plus anciennes évoquaient le pèlerinage à Bousiris. Ces scènes sont fréquemment représentées dans les tombeaux à partir du Moyen Empire. Le pèlerinage, s'il fut effectivement accompli... -
ANUBIS
- Écrit par Encyclopædia Universalis et Yvan KOENIG
- 494 mots
- 4 médias
Le dieu adopte la forme d’un canidé noir couché sur une chapelle ou ce qui en tient lieu, avec une bandelette autour du cou. Anubis prend aussi l’apparence d’un homme à tête de chien ou de chacal. Le nom du dieu, « Inpou », évoque un jeune chien. Anubis fut particulièrement adoré dans le dix-septième...
-
ARIÈS PHILIPPE (1914-1984)
- Écrit par Hervé KEMPF
- 1 309 mots
Philippe Ariès naît le 21 juillet 1914 à Blois (Loir-et-Cher). Ce lieu de naissance n'est qu'une étape dans la carrière de son père, ingénieur en électricité, qui va le conduire à Paris à partir de 1920. Mais le berceau de la famille est ailleurs : au xviiie siècle, les ancêtres...
-
ARRÊT CARDIAQUE
- Écrit par François BOURNÉRIAS
- 333 mots
On définit par arrêt cardio-circulatoire la suspension brutale de l'activité cardiaque efficace d'un sujet, chez qui tel événement n'était pas prévisible.
Du point de vue médico-légal, l'arrêt cardiaque est synonyme de mort subite. Les causes les plus importantes d'arrêt cardio-circulatoire...
- Afficher les 66 références