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MORT Les interrogations philosophiques

Immortalité et résurrection

On ne peut négliger ici les philosophes personnalistes, comme Maurice Nédoncelle, Jean Lacroix, Emmanuel Mounier, et néo-thomistes, comme Sertillanges, Jacques Maritain, qui prolongent le courant aristotélico-thomiste au moins en ce point central où l'homme est pris comme unité, esprit incarné et corps spirituel, ne laissant place ni au dualisme, ni à l'idéalisme, ni au monisme matérialiste.

Sans rien nier des apports des plus récents développements, personnalistes et néo-thomistes les situent au plan périphérique de la phénoménologie et recourent à une métaphysique proprement dite. La personne est un noyau ontologique au principe de toutes les activités bio-psychiques de l'homme. Elle est inséparable de son ouverture au monde socio-économique, par lequel elle est d'ailleurs conditionnée, mais qu'elle domine cependant comme un absolu. Maritain insistera davantage sur sa transcendance, Nédoncelle sur la communication des consciences, Mounier sur l'activité révolutionnaire de la personne humaine. Mais, pour tous, celle-ci est cette « sur-existence » manifestée au long d'une vie engagée dans le monde, et qui est promise, de ce fait, à une victoire sur la mort.

Par son désir d'absolu jamais satisfait, par l'activité du souvenir qui est dépassement du temps, par la conscience réfléchie qui est dépassement de l'espace, par la liberté conditionnée et malgré tout indomptable qui est choix, par son unité personnelle qui synthétise son expérience, en un mot par son « intériorité », l'homme, immergé dans l'espace-temps, tissé dans et avec l'histoire, est cependant métahistorique. La vie humaine est tension dramatique entre deux pôles : celui de l'espace-temps et celui de leur double et unique négation qu'est l'éternité.

Aussi bien l'immortalité ne commence pas avec la mort, mais avec la naissance. L'« être-pour-la-mort » est en même temps un « être-pour-la-survie ». La vie humaine qui inaugure sa trajectoire visible l'inscrit, chemin faisant, dans une durée intérieure qui va se totalisant. La mélodie temporelle s'égrène note à note et s'achève, mais son inflexion métatemporelle enrichit l'accord incessant qui dépasse l'impermanence. C'est au cœur de la durée que la vie se transforme en survie, et le temps en éternité. À chaque instant, nous entrons en notre immortalité.

Au tableau de cette immortalité, qu'est-ce qui figure ? Il faudrait pour répondre ne plus emprunter d'image à l'expérience. Mais on peut dire que tout moment « vraiment humain », c'est-à-dire ayant accru notre foyer de liberté, non en échappant aux déterminismes, mais en les mettant en œuvre dans l'acte de la liberté, s'intègre déjà à la création de la survie. Toute tendresse généreuse, toute intensité désintéressée, toute gratuité portent déjà en elles les stigmates de l'éternel. Ayant éclos dans le temps sans être nées du temps, elles s'épanouissent dans une intériorité sur laquelle le temps qui l'a nourrie n'a cependant aucune prise. Rétrospectivement, on peut dire que c'est cette gravitation infinie qui donne au désir humain ce goût de l'absolu qui en fait tout le poids.

C'est pourquoi l'immortalité est personnelle. Elle est modelée par une biographie singulière, mais par ce qui fut vraiment vécu humainement, ayant ainsi accru l'intensité de l'identité personnelle. L'espèce animale est faite d'échantillons anonymes, mais les individus humains ont pour vocation de se rendre singuliers, uniques, irremplaçables.

En distinguant mort biologique et mort humaine, on peut dire que la mort humaine est ce moment de syncope où un être renonce délibérément à sa liberté, mais renoncer est le contraire de consacrer. Cette[...]

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Écrit par

  • : professeur en philosophie, ex-directeur de la division de philosophie à l'U.N.E.S.C.O.

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