MORT Les sociétés devant la mort
Les croyances apaisantes
Mort-apparence et mort-renaissance
Un des procédés les plus efficaces pour contester les effets annihilants de la mort est d'en faire une néantisation de l'apparence sensible seulement, c'est-à-dire de l'individu. La mort devient alors la médiation de l'individu vers le collectif, considéré dans ce qu'il a de plus solide, la communauté des ancêtres. On pourrait même, dans une perspective de psychanalyse jungienne, se demander si la communauté des ancêtres ne serait pas la forme transcendée, hypostasiée, de la conscience du groupe, une projection dans l'utopie (monde idéal) du désir qu'a le groupe de perdurer sans fin. Encore qu'il faille, à ce niveau, reprendre la distinction entre les ancêtres récents, toujours nommés, susceptibles de se réincarner ou de renaître dans leurs petits-enfants, et les ancêtres lointains, généralement anonymes, si l'on excepte les grands fondateurs. Les « morts-renaissants » reflètent plus directement une dénégation de la mort.
Ainsi entendue, la mort se définit comme transition, passage, changement d'état ; elle est encore épreuve initiatique (pour le défunt qui, cheminant dans l'au-delà, doit vaincre des difficultés multiples et s'efforcer de mériter son statut d'ancêtre) ou, si l'on préfère, renaissance ; enfin, elle devient condition de renouvellement (le vieillard impotent pourra se réincarner dans un enfant) et source de fécondité (mort rituelle de l'animal à fin religieuse ; sacrifice humain, crucifixion du Christ). Tant il est vrai que nous sommes, comme l'a montré Jung, en présence d'un archétype universel qui structure la pensée archaïque (Malaisie, Polynésie, Amérique indienne, Eskimo), hante la conscience onirique, enrichit la création littéraire ou artistique (thèse de M. Guiomar) et donne un sens aux pratiques de l'occultisme, du spiritisme et de la liturgie chrétienne d'aujourd'hui.
De la mort-négation à la négation de la mort
La mort, en tant que négation totale de l'être, n'était pas ignorée des populations archaïques qui, toutefois, semblaient y voir une sanction, la plus grave de toutes. Elle frappait soit des individus coupables par exemple de sorcellerie, soit des sujets qui avaient subi une « mauvaise mort », c'est-à-dire une mort non conforme aux exigences de la coutume (mort par noyade ou par l'effet de la foudre, et, notamment en Afrique, mort d'une femme en couches), soit les personnes qui, n'ayant pas d'enfant pour sacrifier après leur décès, ne sont pas parvenues à intégrer le monde des anciens (Afrique, Chine, Insulinde), voire, enfin, les individus des classes inférieures (ancienne Égypte). Il importe, toutefois, de ne pas confondre absence de demeure des morts avec mort-annihilation : en effet, si les Kamba du Kenya abandonnent les cadavres, ils n'en croient pas moins que les esprits des défunts s'installent dans les figuiers sauvages, et l'on ne manque pas, le cas échéant, de les y honorer ; il arrive même qu'on leur construise de minuscules huttes afin qu'ils puissent échapper aux intempéries.
De la mort, négation intégrale de l'être, à la négation de la mort, il n'y avait qu'un pas que certains penseurs de l'Antiquité occidentale ont franchi. Aucune philosophie n'a poussé aussi loin que celle d' Épicure la négation de la mort puisque, pour lui, la mort n'est rien. Réunissant le matérialisme de Démocrite et l'hylozoïsme, Épicure réduit l'univers à une collection d'atomes indivisibles et éternels, mais différents de taille et de poids. L'âme humaine, qui n'est rien d'autre qu'une rencontre fortuite d'atomes plutôt ronds et siégeant dans la poitrine, ne saurait donc, tout comme le corps, prétendre à une quelconque immortalité. Second point important,[...]
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Écrit par
- Louis-Vincent THOMAS : professeur de sociologie à l'U.E.R. des sciences sociales de l'université de Paris-V.
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