MORT Les sociétés devant la mort
La société industrielle d'aujourd'hui
Le « primitif » et nous
Ceux qu'on a coutume d'appeler « primitifs » ne vivent généralement pas dans la crainte de la mort, parce qu'ils n'accordent pas, comme l'homme d'aujourd'hui, un rôle important à l'individualisation de la personne. Comme le soulignait justement P. L. Landsberg, leur mentalité participative les empêche de « consommer la mort sous la catégorie de la séparation et de la déréliction ». Cela pourrait expliquer leur solide équilibre psychologique, la rareté des névroses et des suicides, contrairement à ce qui se passe en Occident. De plus, dans les sociétés archaïques, la mort ne suscite pas le sentiment d'absence et surtout d'« irremplacement » (adoption du criminel qui prend la place de sa victime, lévirat et sororat, réincarnation, rôle de la famille élargie, etc.). Au contraire, les sociétés industrielles vivent dans un cadre étroit (famille nucléaire), et le principe d'individualisation rend impossible ou impensable le remplacement automatique du défunt, ce qui ne manque pas de susciter plus d'un traumatisme grave. Autre différence capitale : en Afrique, par exemple, si les morts occupent une grande place dans la vie sociale, ils n'en sont pas moins à leur place, comme dit R. Bastide, c'est-à-dire que le culte qui leur est dû est « extérieur et institutionnalisé ». Chez l'homme blanc, les défunts, en vain exorcisés, deviennent des « activités intérieures à l'homme » ou, pour parler le langage des psychiatres et des psychanalystes, des fantasmes, des « formes obsessionnelles de l'inconscient » : là, le dialogue dont l'homme tire grand bénéfice ; ici, le monologue sans fin, stérile, débilitant. Enfin, dans les sociétés traditionnelles, le deuil paraît rigoureusement codifié et fonctionnalisé : les Ifaluk de Micronésie cessent subitement toute plainte, toute désolation une fois les funérailles achevées. Rien de tel dans les sociétés occidentales. Personne n'est préparé à son rôle de « deuilleur » auquel on n'a pas le droit de penser à l'avance : d'où l'anxiété (source de culpabilité), la hantise de mal s'acquitter de ce rôle. « On doit faire ressortir les contradictions qui existent entre l'encouragement à la dépendance exclusive et l'absence de techniques de remplacement des personnes dans le deuil, entre un système qui favorise l'ambivalence, l'hostilité et la culpabilité et l'absence dans les rites et les rôles de tout moyen d'expression pour ces mouvements affectifs. À cet égard, beaucoup de sociétés sont mieux organisées que la nôtre » (J. Stoetzel).
Survivances ou « archétypes » ?
L'horreur du cadavre en décomposition (qui prend de nos jours le prétexte de l'hygiène), l'association entre la mort et l'initiation (surtout en cas de guerre, quand elle a un rôle initiatique intégrateur), le prestige accordé à la mort féconde (risquer sa vie, donner son sang pour la patrie, pour la foi, pour l'idéal politique), le maintien de la mort-naissance (l'homme se survit par l'hérédité chromosomique ; il a le souci de léguer son nom ; il espère en l'au-delà s'il est croyant), l'importance octroyée à la mort maternelle, la place de la mort dans la vie économique (métiers de la mort) ou dans l'art (M. Guiomar), les relations entre les morts et les vivants (occultisme et spiritisme ; croyance en l'âme immortelle ; fête des morts ; culte des saints, substitut du culte des ancêtres), telles seraient, entre autres, et en dépit des mutations dues aux conditions différentes de vie, les survivances primitives dans la civilisation d'aujourd'hui. À moins qu'il ne faille y voir avec Jung des « archétypes universels », c'est-à-dire[...]
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Écrit par
- Louis-Vincent THOMAS : professeur de sociologie à l'U.E.R. des sciences sociales de l'université de Paris-V.
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