MORTS IMAGINAIRES (M. Schneider) Fiche de lecture
À mi-chemin entre la biographie (récit de la vie de personnes réelles) et le roman biographique (récit de la vie de personnages fictifs), on trouve la biographie imaginaire, récit fictif de la vie de personnes réelles. Territoire singulier, exploré par quelques francs-tireurs : Borges et son Histoire de l'infamie, Simon Leys et sa Mort de Napoléon, Dominique Noguez et ses Trois Rimbaud, Pascal Quignard et son Albucius. Et, bien sûr, leparadigme du genre : Marcel Schwob et ses Vies imaginaires. C'est de ce dernier livre que s'est inspiré Michel Schneider, psychanalyste, auteur d'ouvrages sur la littérature (Baudelaire,les années profondes, 1995 ; Maman, 1999) et la musique (Glenn Gould, piano solo, 1998 ; L'Odeur de la musique,2001) pour écrire Morts imaginaires (Grasset, 2003). Son sujet : la mort, ou plutôt les morts (comme l'annonce en exergue cette phrase de Proust : « Nous disons la mort pour simplifier, mais il y en a presque autant que de personnes. ») des écrivains.
Dans le texte d'ouverture, l'auteur rappelle ce qui unit indissolublement l'écriture et la mort (« Pourquoi la mort ? C'est se demander : pourquoi les mots ? »), citant, pour n'y plus revenir, quelques fameux ultima verba, évoquant (comme un remords ? un salon des refusés ?) plusieurs auteurs absents des pages à venir. Suivent trente-six chapitres, de longueur inégale, couvrant, du xvie au xxe siècle, les littératures française, russe, allemande, autrichienne, italienne, anglaise et américaine, de Montaigne à Truman Capote, en passant par Mme de Sévigné, Voltaire, Balzac, Tchekhov, Zweig, Vialatte ou Buzzati. Si la composition du livre obéit à la pure chronologie, au fil de la lecture, des réseaux se tissent, des échos se font entendre : Périandre accompagne Montaigne, Montaigne Pascal et Zweig, Nerval Dumas, Flaubert Maupassant... Parfois, le motif des « morts parallèles » devient le sujet même du texte : ainsi Zweig « plagiant » le suicide de Kleist, ou Broch plaçant sa mort sous le patronage de Virgile. Mais Michel Schneider invite aussi le lecteur structuraliste à composer lui-même sa propre « intermortalité » : « Il y a ceux qui meurent de l'histoire […], ceux qui meurent des femmes […], ceux qui meurent de leur dieu […], et même ceux qui meurent de leurs livres […]. Mes préférés ? Ceux qui meurent de leur mort, tout simplement, parce qu'il faut bien faire une fin. »
Là où le biographe imaginaire procède par condensation (la brièveté est l'un des invariants du genre, dont le modèle repris et détourné semble être moins la biographie que la notice), le thanatographe imaginaire procède, lui, par expansion, nourrissant le récit d'un instant nécessairement fugace et insaisissable de ceux qui l'ont précédé – les derniers moments, l'agonie –, voire de la vie elle-même. Ainsi, la mort de l'écrivain sera le lieu et l'instant à partir de quoi remonter le fil de son existence, par conséquent de son œuvre, et l'éclairer : « Grand lecteur de mort et de morts, soutenu par une illusion projetée sur une chose banale et laide, inspiré par l'étrange crédit que nous faisons aux choses ultimes, je cède moi-même à cette idée commune que la vérité s'y ferait plus entendre et mieux voir la beauté. »
Au reste, au gré de cette déambulation sereine et parfois gaie (« Rien de funèbre ou de macabre à cet intérêt aux dernières syllabes »), nous découvrons, comme le fit Schneider lui-même, que la mort d'écrivain est presque un genre à part entière, sujet d'ouvrages, comme Les Derniers Jours d'Emmanuel Kant de Thomas de Quincey, Les Derniers Instants de Pouchkine de Vassili Joukovski, Les Derniers Jours de Charles Baudelaire de Charles Asselineau, ou de pages méconnues (la mort de Nerval racontée[...]
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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