MOSER LUCAS (1re moitié XVe s.)
Le nom de ce peintre allemand nous est connu par une inscription peinte sur le cadre de la seule œuvre qui subsiste de lui, le Retable de la Madeleine, conservé dans la petite église de Tiefenbronn dans la Forêt-Noire (près de Pforzheim). En 1969, un érudit de Stuttgart, s'appuyant sur le tracé des lettres et sur certaines particularités linguistiques, a prétendu que l'inscription était un faux datant de l'époque romantique. Un examen de laboratoire et une analyse détaillée ont confirmé depuis lors son authenticité, et avec elle l'authenticité du nom du peintre, dont nous ignorons tout par ailleurs, et celle de la date de 1432 qui figure également sur le cadre.
Le retable, un triptyque destiné par sa forme à être placé sous un arc brisé, est constitué d'un coffre central où un groupe en bois sculpté représentant la Madeleine entourée d'anges a remplacé au xvie siècle la ou les statues d'origine : ce coffre est fermé par deux volets rectangulaires mobiles, peints, encadré par deux ailes fixes, également peintes, visibles lorsque les volets sont fermés, et il est surmonté par une autre composition peinte. La peinture a été exécutée sur parchemin collé sur bois, technique nullement exceptionnelle à l'époque, mais qui révèle une certaine recherche, de même que l'emploi de l'or et celui, plus rare, de l'argent pour servir de fond à certaines parties (en particulier la mer). Les donateurs d'une œuvre aussi précieuse ont pu être identifiés, mais les circonstances de la commande restent obscures. Ouverts, les volets montrent sainte Marthe et saint Lazare, debout sur un sol fait de nuages où brillent des astres. Lorsqu'ils sont fermés, on voit trois scènes de la légende de sainte Madeleine : la traversée, l'arrivée à Marseille et l'apparition au couple princier, la dernière communion de la sainte dans la cathédrale d'Aix-en-Provence. Au-dessus est représentée la Madeleine aux pieds du Christ ; à la prédelle, le Christ entre les « vierges sages ». Le « symbolisme caché », pour reprendre l'expression de Panofsky, offre d'étroites analogies avec celui que l'on rencontre dans les œuvres du Maître de Flémalle ; ainsi, l'inachèvement de la cathédrale d'Aix, qui signifie probablement que l'évangélisation de la Provence n'était pas achevée, rappelle l'inachèvement du temple des Fiançailles de la Vierge, œuvre du Maître de Flémalle (musée du Prado).
On ignore tout de la formation du peintre ; selon une hypothèse récente, appuyée sur des rapprochements avec l'œuvre de Maître Francke, il l'aurait reçue dans la région du bas Rhin ou de la Westphalie. Son tour de compagnon a dû le mener vers l'ouest, car il a connu les productions les plus récentes de la miniature franco-flamande et de la peinture flamande. Si certains traits, en particulier la manière de traiter les plis des étoffes, le montrent encore attaché au « style suave » de ce que l'on appelle le gothique international, la minutie avec laquelle il s'attache à décrire les jeux de la lumière sur les flots et les transparences de l'eau, l'ombre portée d'un anneau de fer sur le mur d'un embarcadère, cette extrême attention apportée aux apparences du monde en font bien le contemporain du Maître de Flémalle et de Jan van Eyck, et l'un des peintres les plus représentatifs, quoique les plus mystérieux, de cette époque. À l'ignorance dans laquelle nous sommes de sa vie et de ses autres œuvres s'ajoute le troublant problème d'interprétation posé par quelques mots de l'inscription portée sur le cadre : « Crie, art, crie, et plains-toi fort, plus personne ne te désire, ô douleur. » On tend à y voir aujourd'hui la plainte d'un représentant, encore relativement isolé dans l'Allemagne de son époque, des tendances modernes de l'art.[...]
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Écrit par
- Pierre VAISSE : professeur d'histoire de l'art à l'université de Genève
Classification
Autres références
-
ACKER HANS (actif entre 1413 et 1461)
- Écrit par Louis GRODECKI
- 288 mots