LUZZATTO MOSHE HAYYIM (1707-1747)
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L'une des plus géniales personnalités juives du xviiie siècle. Grand mystique, disciple attardé de Sabbataï Zevi, auteur de nombreuses études kabbalistiques, Moshe Hayyim Luzzatto est, en même temps, un moraliste distingué, un styliste et un maître en didactique littéraire, le créateur, enfin, d'un genre presque entièrement nouveau dans l'histoire de la littérature hébraïque : le drame. Il est considéré, à juste titre, comme l'initiateur de la renaissance de la langue et de la littérature hébraïques modernes (S. Ginzburg, Moshé Hayim Luzzatto. His Life and Works, New York, 1930 ; R. Neher-Bernheim, Histoire juive de la Renaissance à nos jours, t. I, Paris, 1971).
Sa vie, brève mais mouvementée, est traversée de bout en bout par le conflit spirituel de la mystique et de la raison, qui déchire sa conscience pure et naïve, et le fait persécuter cruellement par certaines autorités établies de la Synagogue.
Né à Padoue, il est nourri de la double culture juive et profane, qui s'épanouit dans cette cité universitaire où les Juifs participent librement à toutes les activités intellectuelles et artistiques. Il souhaite doter la langue hébraïque d'une littérature qui puisse rivaliser en beauté et en rigueur esthétique avec la littérature italienne de son époque. Il n'a pas vingt ans lorsqu'il compose son premier drame, à sujet biblique (Histoire de Samson) ; trois ans plus tard, il publie un chef-d'œuvre dramatique (La Tour de puissance), inspiré par le Pastor Fido de l'Italien Guarini. Il enrichit ainsi la littérature hébraïque d'un genre nouveau, auquel ne s'étaient attachés jusqu'ici que deux ou trois devanciers, italiens eux aussi ; mais ils étaient loin d'atteindre le niveau de Luzzatto, qui accompagne la composition de ses œuvres de toute une série d'ouvrages didactiques, véritable « Art poétique hébraïque », dans lesquels il précise les règles modernes des genres, de la stylistique, de la rhétorique, de la versification, etc., et qui doivent désormais, selon lui, guider les écrivains rédigeant leurs œuvres en hébreu.
Mais, parallèlement à cette activité originale et hardie de novateur littéraire, Luzzatto mène à Padoue une existence mystérieuse, groupant autour de lui un cénacle d'amis de son âge, auxquels il confie le grand secret de sa vie : il est l'objet de visions mystiques, durant lesquelles un magguid (narrateur) lui dicte le texte d'un nouveau Zohar (la Bible des kabbalistes). Il leur fait comprendre assez clairement que, si Sabbataï Zevi (le faux Messie, converti en 1666 à l'islam) fut le Messie souffrant, il sera un jour reconnu, lui Luzzatto, comme le Messie glorieux.
Quand ces « secrets » commencent à être dévoilés, en ce premier quart du xviiie siècle, où la Synagogue mène partout en Europe une lutte sévère contre les partisans clandestins de Sabbataï Zevi, le scandale éclate ; et c'est, pour Luzzatto, le début d'une lutte épuisante avec les rabbins de Venise, qui prétendent avoir autorité sur la communauté voisine de Padoue et menacent l'écrivain de mettre au ban ses œuvres et, bientôt, sa personne. Luzzatto a beau protester de son innocence, invoquer le témoignage de son maître, le rabbin Bassan de Reggio — kabbaliste lui aussi, mais qui jouit d'une autorité incontestée et qui gardera sa confiance à son disciple jusqu'au bout —, la lutte se fait à armes inégales. Luzzatto n'est qu'un jeune homme de vingt ans, alors que la tradition juive veut que l'étude de la kabbale ou du Zohar ne puisse commencer, pour un Juif, qu'à partir de l'âge de quarante ans ! Après les vicissitudes d'une querelle qui s'étend sur près de dix ans, Luzzatto est finalement vaincu. Enfin, en 1736, il est mis au ban par les rabbins vénitiens pour toutes les communautés d'Italie de même que d'Allemagne.
Il émigre alors en Hollande avec sa femme et ses enfants. Il se fixe à Amsterdam, où les autorités de la Synagogue sont beaucoup plus tolérantes et où il est accueilli avec une sympathie qui l'encourage à reprendre ses travaux littéraires d'autrefois. C'est à Amsterdam qu'il compose ses deux chefs-d'œuvre ; un ouvrage de littérature religieuse, recueil de morale juive, Messilat Yesharim (Le Sentier de rectitude, trad. A. Wolf et J. Poliatchek. Paris, 1956), qui connaît rapidement une diffusion rayonnante dans tout le judaïsme d'Europe, d'Asie et d'Afrique, et un troisième drame, Layesharim Tehila (Gloire aux justes), où l'allégorie se mêle harmonieusement au lyrisme, en un style qui restera, pour un siècle, le modèle de la langue hébraïque dans sa facture moderne.
Cependant, l'appel mystique n'a pas cessé de retentir dans l'âme de Luzzatto. À l'approche de la quarantaine, alors qu'il peut se livrer sans obstacles à l'étude et à la vie mystiques, il quitte la quiétude de son refuge à Amsterdam et accomplit, avec toute sa famille, l'Alya, la montée en Terre sainte. Il débarque à Saint-Jean d'Acre, en 1743, avec l'intention de se fixer à Safed, en Galilée, le haut lieu de la kabbale depuis le xvie siècle. On ne sait rien de son existence là-bas. En 1747, une lettre des rabbins de Safed annonce qu'il est mort d'une épidémie de peste, avec toute sa famille, et qu'il a été pleuré par ses pairs et enterré à Tibériade, à côté de la tombe de Maimonide. Il venait d'atteindre l'âge de quarante ans qui lui eût ouvert toutes grandes les portes de la mystique à laquelle il aspirait.
Le renom de Moshe Hayyim Luzzatto reste attaché à son ouvrage de morale, qui se situe dans la ligne des Devoirs du cœur de son grand prédécesseur médiéval, Bahya ibn-Paqūda, et à ses drames, qui inaugurent la littérature hébraïque moderne, la langue qui sera celle, au xxe siècle, de l'État d'Israël.
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Écrit par
- André NEHER : professeur honoraire de l'université de Strasbourg
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