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SHULSHTEIN MOSHE (1911-1981)

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Moshe Shulshtein fut un des poètes les plus marquants du centre littéraire yiddish de France. Ce centre a commencé à se constituer à la suite des mouvements migratoires qui, à partir de 1881, ont déraciné une importante proportion de la population juive d'Europe de l'Est, surtout de la « zone de résidence » ensanglantée par les pogroms. Si cette première vague ne laisse à Paris qu'un nombre infime d'immigrants juifs, la grande masse se dirigeant vers les États-Unis, il n'en est pas de même entre les deux guerres. À cette époque, chassés par l'antisémitisme polonais et attirés par le besoin de la France en main-d'œuvre, les juifs d'Europe de l'Est forment une communauté relativement importante (90 000 membres environ). Une dernière vague d'immigration – des rescapés des ghettos, des camps, ainsi que des familles qui s'étaient réfugiées en U.R.S.S. pendant la guerre, en route vers les Amériques ou Israël – passe par Paris où certains de ces immigrants choisissent de se fixer.

Ainsi Paris apparaît comme une plaque tournante de la migration juive depuis la fin du xixe siècle. Son attrait, particulièrement grand sur les artistes et les écrivains, anime la communauté juive et en fait un centre de création culturelle yiddish (C. Asch. Z. Schneour). Dès la période de l'entre-deux-guerres, la vie sociale et culturelle de la communauté s'était organisée : landsmanshaftn (associations d'originaires), presse (entre 1929 et 1939, 127 journaux et périodiques, parfois éphémères, furent publiés), théâtres, partis politiques. Ces activités furent reprises après la guerre, malgré les persécutions du régime de Vichy et l'extermination.

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La littérature yiddish présente en France, comme partout ailleurs, une grande diversité de genres. Dans la mesure où la presse reste un moyen d'expression privilégié, elle produit une abondance d'essais : politiques (L. Leneman), socioculturels (L. Domankievitch), de critique littéraire (M. Litvine, L. Berger), de critique d'art (B. Frenkel), d'érudition (J. Bernfeld, N. Gruss), d'histoire (M. Borwicz). La prose littéraire (romans, nouvelles) a eu quelque mal à s'acclimater à Paris. Par manque de temps pour pousser des racines profondes dans cette terre, elle continua pour l'essentiel à tirer son inspiration de l'Europe de l'Est. Elle parvint néanmoins à intégrer des éléments à la fois formels et thématiques empruntés à son nouveau pays d'insertion (M. Dluznovsky, A. Veïtz, W. Wiewiorka, B. Shlevin avec Les Juifs de Belleville, E. Kaganowski et plus récemment Menuha Ram). Le théâtre, phénomène sociologique autant que littéraire, inspira de rares auteurs yiddish en France (H. Slovès : Boruh d'Amsterdam).

Par contre, la poésie yiddish trouve à Paris un terrain favorable. Moins tributaire pour son inspiration de l'enracinement dans un milieu social, peut-être même stimulée par les modes d'être éphémères et par l'atmosphère de Paris, ville et mythe pour les créateurs du monde entier et plus particulièrement pour ceux d'Europe de l'Est, elle suscite une pléiade de poétesses (P. Halter, T. Zisman, R. Kope...) et de poètes (E. Vogler, M. Waldman, L. Eichenrand...). C'est dans ce contexte que s'inscrit l'œuvre de Moshe Shulshtein, la seule dont la quasi-totalité (à l'exception de deux volumes : Du pain et du plomb, 1934, et Le Pipeau dans la montagne, 1936) ait été créée en France. Moshe Shulshtein incarne dans sa vie le destin de la communauté juive de ce pays. Chassé par la misère et la terreur qu'engendra l'antisémitisme polonais de l'entre-deux-guerres, il se fixa à Paris en 1937. Ouvrier tailleur, il épousa la cause prolétarienne et s'engagea dans la lutte contre le nazisme. L'horreur de la Seconde Guerre mondiale s'inscrivit à jamais dans sa chair et dans son esprit. Les révélations sur le Goulag soviétique et sur l'extermination de la culture juive en U.R.S.S. approfondirent les plaies. À partir de 1956, il chercha un réconfort et une raison d'espérer dans la renaissance d'une partie de son peuple sur la terre d'Israël.

Tout cet itinéraire s'exprime dans une œuvre abondante et variée, de prose (des nouvelles : Sur les toits de Paris, 1962 ; et des essais : Images devant mes yeux, 1971 ; Maillon après maillon, 1975) mais surtout de poésie – une poésie dont le processus créateur se confondait pour lui avec la vie même :

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Je chante/ je chante car je respire/ Je respire car je chante./ Mon chant signifie ma vie/ Ma vie/ Signifie mon chant.

Il sut plier son tempérament passionné et fougueux à des formes généralement classiques. Poète intimiste, d'une grande musicalité, il s'attacha à restituer des sensations et des états d'âme fugitifs, des paysages éphémères et fluides, à travers lesquels transparaît un certain panthéisme et un sens de la communion avec la nature. Son lyrisme lui inspira des images iridescentes pour évoquer le chatoiement de la terre d'Israël, mythe devenu réalité pour se muer de nouveau en vision poétique sous sa plume. Il trouva aussi des accents bouleversants pour clamer sa révolte et sa douleur devant la barbarie, quelle que fût son visage, et surtout devant l'horreur indicible du génocide :

Une montagne m'est apparue/ Plus élevée que le mont Blanc/ Plus sacrée que le Sinaï/ Non point en rêve, mais sur terre,/ Elle se dressait/ Au cœur du réel/ Quel mont, quel mont m'est apparu/ De souliers juifs à Maïdanek./ Quel mont, quel mont m'est apparu !

— Rachel ERTEL

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