BACHIR MOUNIR (1930-1997)
Irakien né à Mossoul d'une mère kurde et d'un père syriaque orthodoxe, Mounir (ou Munir) Bachir a été surnommé l'« émir du oud ». Au côté de son père, Abdel-Aziz Bachir, luthiste et chanteur réputé, il se familiarise avec les diverses facettes de la tradition irakienne, où se mêlent influences syriaques, byzantines, kurdes, persanes et turques. À l'Institut de musique de Bagdad, il apprend, avec le maître Cherif Muhieddin Targan, tous les secrets du oud (ou ‘ūd, littéralement : « bois »), luth arabe au manche court, à la caisse de résonance bombée et aux incrustations de marqueterie.
Diplômé à seize ans, le brillant Mounir Bachir se lance très vite dans des tournées internationales qui vont le mener à Londres, à Paris et à Vienne. Au côté du compositeur hongrois Zoltán Kodály, il prépare un doctorat en musicologie. C'est à Budapest, dont son épouse est originaire, qu'il mourra d'une crise cardiaque, le 29 septembre 1997.
Pendant une vingtaine d'années, Mounir Bachir sera, à divers postes, responsable de la politique musicale de son pays, ce qui lui vaudra d'autant plus de critiques qu'il avait des positions assez tranchées. Très tôt, il part en guerre contre la chansonnette et ses rengaines qui « dénaturent » la tradition arabe. Alors que son frère Djamil Bachir, mort en 1977, cultivait la fidélité aux ambiances populaires, Mounir Bachir, fasciné par le classicisme occidental, cherche avant tout l'épure et la méditation, quitte, parfois, à négliger le tarab (émoi), si essentiel aux musiques orientales.
D'une plume d'aigle fendue, il taquinait les cinq doubles cordes de son oud (plus une, pour les graves, qu'il faisait fabriquer spécialement). Tour à tour réflexives ou enjouées, ses « improvisations composées » se coloraient parfois de blues ou de flamenco pour inviter à la rêverie, voguant d'arabesques ornementées en fines mosaïques.
Avec Mounir Bachir, le oud, jusque-là cantonné dans un rôle d'accompagnement, est devenu un instrument soliste à part entière. À force d'étirer les taqsim, improvisations instrumentales qui, dans la tradition, servent d'écrin au chant, il a inventé un genre nouveau qui a fait école. Tous les oudistes de la nouvelle génération ont été marqués par son jeu, qu'ils s'en démarquent ou s'y conforment. Parmi eux, le Tunisien Anouar Brahem et le Libanais Rabih Abou Khalil s'essaient au dialogue avec le jazz. Mais son véritable héritier est sans doute l'Algérien Alla, également adepte du oud solo : dans ses improvisations habitées, il colle à l'enseignement des anciens tout en tentant quelques escapades vers les guitares flamenques ou les koras mandingues. Et nous envoûte, à la manière du maître Mounir Bachir, en donnant du relief au silence qui vient entre les notes, pour dire les drames et les désirs, tout en se laissant parfois aller à de légères cavalcades.
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Écrit par
- Éliane AZOULAY
: journaliste à
Télérama
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