MOUVEMENT
Certes, la conceptualisation du mouvement ne date pas des débuts de la science moderne. Force est de constater, cependant, que la physique moderne est née à propos de la question du mouvement et en réaction, sur ce point précis, contre la tradition de la science antique et médiévale. L'œuvre de Galilée marque à cet égard plus qu'un renouveau : une manière de commencement. L'importance du concept de mouvement dans la constitution de la science moderne est d'ailleurs telle que, pendant longtemps, on identifiera tout simplement l'étude de la nature (la physique au sens étymologique du mot) à la science du mouvement.
Aussi convient-il, dans une étude portant sur la notion de mouvement, d'établir au préalable ce contre quoi s'est édifiée la forme post-galiléenne du concept. Il ne s'agit évidemment pas, dans un espace aussi restreint, d'effectuer une analyse de la science aristotélicienne du mouvement (et de ses prolongements médiévaux à Paris et Oxford), mais bien plutôt de dégager les traits essentiels d'un mode de conceptualisation que la science galiléenne a rendu caduc en s'y opposant.
Une fois ces jalons posés, il sera possible de décrire en quoi consiste la nouvelle conception, celle qui est encore la nôtre aujourd'hui, à des modifications de détail près. On insistera sur le rôle fondamental que joue dans ce changement le principe de relativité énoncé par Galilée – première occurrence d'un principe d'invariance dans la physique moderne. On montrera comment ce principe, en rendant pensable et possible une description du mouvement en tant que tel (indépendamment de ses causes et des objets matériels qui y sont soumis), est à l'origine de la mathématisation du mouvement. Galilée introduit, entre la géométrie (science de l'espace) et la dynamique (étude des causes du mouvement) de la tradition antique, une « nouvelle science » : la cinématique, qui se donne pour objectif l'étude du mouvement pour lui-même.
Mais la cinématique ne peut constituer à elle seule la science du mouvement, dans la mesure précisément où elle ne tient compte ni des causes qui le produisent ni de ce à quoi il s'applique. La science galiléenne laisse sans réponse la question des rapports entre la matière et le mouvement, qui, par contre, était au cœur de la théorie d'Aristote. On verra comment Newton, par l'introduction d'une dynamique fondée sur les concepts renouvelés de masse et de force, pensera avoir réglé cette question. On constatera que, comme l'ont souligné les auteurs du xixe siècle, et notamment Mach, Newton n'est pas parvenu à remplir entièrement son programme, dans la mesure où il n'a pas su donner du mouvement de translation uniforme, dit « inertiel », une explication « matérialiste », c'est-à-dire uniquement en termes d'espace, de temps et de matière. On verra comment Einstein, avec la théorie de la relativité générale et l'idée que la structure géométrique de l'espace est déterminée par la distribution des masses qui s'y trouvent, a finalement résolu le problème du lien entre la cinématique et la dynamique.
C'est à dessein qu'il ne sera pas fait état ici de la mécanique classique (cf. voir à ce sujet l'articlemécanique). On préférera s'attacher à dégager les problèmes que pose la conception moderne du mouvement. On insistera sur le statut ontologique bien particulier dont jouit le mouvement depuis Galilée : ni chose, ni propriété des choses, le mouvement est un état. C'est du moins ce qui est apparu rétrospectivement lorsque, au début du xxe siècle, se sont fait jour les limites de la conceptualisation du mouvement opérée à l'âge classique. Dans la « mécanique quantique » qui s'est alors édifiée, le mot « mouvement » n'a plus cours et est remplacé par celui[...]
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Écrit par
- Françoise BALIBAR : physicienne, professeur à l'université de Paris-VII
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