LIBRE-ESPRIT MOUVEMENT DU
Attestée dans plusieurs documents de l'Inquisition et revendiquée en quelques occasions par les bégards et les béguines eux-mêmes, l'appellation de Libre-Esprit désigne un courant qui, du xiiie au xvie siècle, postule une unité entre le monde et l'homme telle que Dieu s'incarne en celui-ci ; chacun pouvant alors révoquer toute forme d'obédience, de crainte, de culpabilité et s'identifier à la libre réalisation de ses désirs. Les expressions « libre esprit », « libre par l'esprit », « esprit de liberté » apparaissent bien après les premières manifestations de la doctrine. Elles répondent, pour une part, à la nécessité où l'Église se trouvait d'identifier une hérésie nouvelle, mais la notion même n'est pas pure invention des inquisiteurs.
À l'ombre de l'histoire
L'ignorance dans laquelle a été tenu, jusqu'à nos jours, le mouvement du Libre-Esprit s'explique par plusieurs raisons. Hostile à toute forme de prosélytisme, il a misé sur sa propre clandestinité pour se propager impunément pendant plusieurs siècles. À la différence des divers millénarismes, il n'appelle pas ouvertement à la révolution sociale et, ayant le martyre en horreur, il ne suscite guère l'enthousiasme de croyants déterminés à mourir pour leur foi, tels que vaudois, cathares ou réformés. Peut-être fût-il resté sans nom si l'Église n'eût jugé utile de lui accorder une place dans le registre des hérésies. Le terme, que ne désavoueront pas nombre de bégards et béguines, se réfère à la fois à la liberté de nature et à l'Esprit saint, par lequel Dieu s'incarne en chacun.
Inacceptables pour le pouvoir ecclésiastique, les propos et les usages du Libre-Esprit allaient éveiller la méfiance des historiens protestants, qui, les premiers à étudier les groupes dissidents combattus par Rome, cherchaient les précurseurs de la Réforme dans les in pace de l'Inquisition. Dans une thèse parue en 1875, le pasteur Jundt en fait, sous l'appellation de « panthéistes populaires », les tenants d'une religion grossière et mal entendue. Si l'on excepte une brochure d'Allier qui, entre les attentats de Ravachol et de Bonnot, découvre en eux des « anarchistes du Moyen Âge », il faut attendre Les Fanatiques de l'Apocalypse de Cohn et une remarquable compilation de Romana Guarnieri pour que leur spécificité commence à apparaître.
Enfin, l'obscurité où les a laissés un siècle d'érudition n'est pas sans rapport avec le propos qu'ils illustrent et que notre époque elle-même n'admet pas sans réticence : l'importance accordée à la vie immédiate du corps et le mépris d'une pensée qui s'en tient séparée.
L'état présent des recherches a mis en lumière une relative abondance de documents ecclésiastiques. Les rapports d'Inquisition, obtenus le plus souvent par la torture et les promesses de clémence, méritent ici d'être abordés avec d'autant plus de prudence que l'enquête s'attache à conformer les aveux aux chefs d'accusation formulés, par le concile de Vienne (1311), à l'encontre du Libre-Esprit et repris dans les dispositions dites Clémentines.
Pourtant, plusieurs témoignages échappent à de telles sollicitations impératives. C'est notamment le cas de la confession de Jean de Brünn, un bégard de Cologne qui a choisi de collaborer à la répression de ses anciens compagnons, et de la cédule d'accusation où Johannes Hartmann développe complaisamment les points de doctrine qui lui sont reprochés.
Un seul texte, mais de grande importance, émane d'un partisan du Libre-Esprit, le Miroir des simples âmes de Marguerite Porète. Selon toute probabilité, d'autres se découvriront au fil des recherches. Au xviiie siècle, Mosheim, auteur d'une[...]
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Écrit par
- Raoul VANEIGEM : écrivain
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