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LIBRE-ESPRIT MOUVEMENT DU

Des amauriciens aux ranters

Jusqu'à plus ample information, il est d'usage de faire remonter le Libre-Esprit aux deux procès intentés, à Paris en 1209 et à Amiens en 1211, aux disciples supposés d' Amaury de Bènes, mort en 1207. Celui-ci s'était attiré la réprobation pontificale pour avoir affirmé que chaque homme est tenu de se considérer comme membre du Christ. Une simple abjuration mettra fin à une querelle qui semble n'avoir pas dépassé les limites du monde universitaire.

Il en va autrement des thèses défendues par une dizaine de clercs dénoncés à l'archevêque de Paris. Quelques-uns ont suivi les leçons d'Amaury, mais la conception philosophique qu'ils développent s'apparente davantage au panthéisme de David de Dinant. Les autres, curés de villages situés non loin de Paris, ne s'embarrassent guère de subtilités métaphysiques (Jean, curé d'Ursines, déclare n'avoir pas très bien compris certains articles de l'accusation). Ils expriment, selon toute vraisemblance, le sentiment de leurs paroissiens : il n'y a d'autre enfer que celui qui règne sur terre, le péché n'existe pas, il est loisible de suivre ses désirs sans s'embarrasser des sacrements et des mandements de l'Église, et la charité n'est rien d'autre que l'inclination aux gestes de l'amour. De telles idées, d'abord signalées à Paris et Amiens, sont attestées à Strasbourg (1215), en Thuringe (1216), dans la région de Troyes (1220).

La béguine Aleydis, qui fut brûlée en 1236 à Cambrai et qui passe pour avoir professé des opinions « amauriciennes », jette une étrange lumière sur la propagation du mouvement et sur son pouvoir de séduction : Hadewijch de Brabant la cite dans sa « Liste des parfaits amants », à la suite de sa treizième Vision. Et comment ne pas établir un rapprochement entre les Nouveaux (Nuwen) auxquels s'adresse Hadewijch et le groupe du Nouvel Esprit qui, dans la région d'Augsbourg, suscite l'indignation d'Albert le Grand vers 1260. Entre le « jueste amour » d'Aleydis et l'amour séraphique de Marguerite Porète ou de Bloemardinne semble se confirmer la médiation d'une Hadewijch moins orthodoxe qu'on a tenté de le faire croire.

Autre filiation possible d'Aleydis et de Hadewijch : Willem Cornelisz. Proche des ouvriers tisserands d'Anvers – qui dépend de l'archevêché de Cambrai –, il décrète, vers 1250, que le pauvre ne commet pas de péché, quoi qu'il fasse, et que voler un riche n'est pas voler. Certains points de sa doctrine esquissent un code de courtoisie où s'affirment les droits de la femme.

Dans le même temps, le Nouvel Esprit s'étend dans le Riess et préface un éden où Dieu, se confondant avec la relation amoureuse, s'incarne en chaque amant devenu impeccable et parfait.

Tandis que l'évêque de Paris, Étienne Tempier, condamne, en fulminant contre l'hétérodoxie des étudiants, plusieurs thèses amauriciennes, à Spolète, un dissident franciscain, Bentivenga da Gubbio, propage des idées de Libre-Esprit jusqu'à son arrestation en 1307. Si ses aveux inquiètent les milieux pontificaux, c'est surtout le succès de la doctrine parmi les bégards et les béguines, membres d'associations caritatives mi-religieuses mi-laïques, qui va justifier l'intervention de Rome et, dans le même temps, vulgariser et formaliser sa reconnaissance officielle. L'appellation de Libre-Esprit s'attache alors au bégardisme, qui lui confère une connotation élitiste et l'imprègne d'une sorte de nietzschéisme avant la lettre.

Le procès, suivi de son exécution à Paris, de Marguerite Porète alimente l'acte d'accusation qu'un an plus tard, en 1311, le concile de Vienne dressera contre les partisans du Libre-Esprit. Plusieurs thèses incriminées[...]

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