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PERPÉTUEL MOUVEMENT

Le vocabulaire et le thème du mouvement perpétuel appartiennent essentiellement à l'histoire des sciences, et, plus précisément, en Europe, à l'époque qui va du début du xvie à la fin du xviiie siècle. Le rôle important qu'ils ont tenu dans l'élaboration de la science positive justifie qu'on leur accorde une attention particulière.

Se rattachant à l'impact, sur la tradition de la science grecque au Moyen Âge, d'informations venues de l'Orient à travers l'Islam, ils sont significatifs d'un problème fondamental, celui qui consiste à savoir si les phénomènes mécaniques, prototypes de tous les changements dont l'observation et la production sont l'objet même de la science, sont régis par une « économie » précise. Ils ont préparé le terrain où a pu éclore le principe de la conservation de l'énergie, qui domine la science du xixe siècle.

L'impossibilité de construire des machines capables de fonctionner indéfiniment sans dépense d'énergie n'a cependant été, depuis le début du xviie siècle, que la profession de foi de théoriciens avisés, tandis que le rêve de semblables merveilles n'a cessé de hanter jusqu'à nos jours l'esprit des inventeurs recrutés dans le milieu des artisans de la technique, a priori mieux informés des exigences de la matière. Ce n'est pas là un mince paradoxe.

Sans doute la liste, déjà longue, de tant de jouets ingénieux permet-elle à la science classique de mieux situer les raisons du mirage : il est aisé d'utiliser les petites oscillations autour d'une position d'équilibre stable, mais, malgré les apparences, le phénomène dépense de l'énergie et sur une durée limitée, tandis qu'il ne produit rien de ce que l'on demande d'ordinaire à une machine.

Le développement prodigieux des techniques de l'électronique repose pourtant la question du sens exact qu'il convient de donner à ce postulat qui veut qu'un effet ne puisse jamais être plus grand que sa cause.

Voilà pourquoi l'histoire du « mouvement perpétuel » conserve une valeur d'actualité.

Un langage ambigu

C'est, sans aucun doute, au premier regard que l'homme a porté vers les cieux qu'il faut faire remonter l'idée de phénomènes qui se reproduisent indéfiniment et dont la perpétuité assure l'utilisation pour la mesure du temps. Depuis la plus haute antiquité jusqu'à Copernic inclusivement, l'astronomie se nourrit, à travers des interprétations diverses des mouvements célestes, de l'existence de mouvements perpétuels, c'est-à-dire, pour reprendre la célèbre formule de Mallarmé, tels qu'en eux-mêmes l'éternité les change, et qui, de ce fait, sont essentiellement uniformes. Mais ce sont tous des mouvements circulaires ou des mouvements de rotation de sphères autour d'un diamètre, non seulement parce que de tels mouvements conviennent le mieux à la traduction des observations, mais encore en raison de la perfection géométrique qui fait que le cercle et la sphère glissent sur eux-mêmes sans changer de place. Ces mouvements apparaissent comme les plus « naturels », inaltérables lorsqu'ils existent, et dépourvus de toute nécessité de moteur.

C'est ce privilège de la circularité que les pionniers de la mécanique classique, dans la première moitié du xviie siècle, auront beaucoup de peine à transférer au mouvement rectiligne du point matériel isolé dans le vide. Peu importent, pour le sujet qui nous occupe, les péripéties de cette « loi d'inertie » sur laquelle, en la plaçant en tête de son grand ouvrage, Newton a vraiment fondé la science nouvelle du mouvement. Le fait même du transfert est ce qui doit être souligné : quelque chose unit la science nouvelle avec l'ancienne, et c'est le postulat d'existence d'un mouvement uniforme et immuable,[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études

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