MOUVEMENT
Espace, temps, matière
Comme on l'a déjà suggéré, la solution apportée par Newton au problème de la « cause » du mouvement inertiel – l'emprise de l'espace (absolu) sur les choses – n'est pas, en dépit de tous les succès qu'a connus la théorie newtonienne, celle qui convient. La raison en est que le concept d'espace absolu (tout comme celui de repos absolu) est en contradiction avec le principe de relativité galiléen. Comme l'écrit H. Weyl (op. cit.), « la ligne de démarcation ne passe pas entre le repos et le mouvement, mais bien entre les mouvements de translation uniforme et les mouvements accélérés ». L'inertie ne peut pas être pensée comme un effet de l'espace absolu sur les choses, puisque celui-ci n'est qu'une chimère. Comme l'a souvent fait remarquer Einstein (par exemple dans un texte d'introduction à la traduction anglaise du Dialogue de Galilée), l'espace absolu de Newton n'est pas satisfaisant pour deux raisons :
– il n'est investi d'aucune réalité comparable à celle dont jouit la matière ;
– il détermine le comportement des objets réels, mais n'est en aucune façon affecté par ces mêmes objets. C'est là le point crucial : la solution du problème de l'équivalence dynamique des mouvements inertiels et du repos nécessite la reconnaissance préalable du fait que la structure inertielle de l'espace, parce qu'elle est réelle, implique non seulement qu'elle agisse sur les objets, mais aussi qu'elle soit agie, affectée par eux (c'est même en cela et à ce prix là qu'elle est réelle).
Ce n'est pas le lieu ici de raconter comment Einstein, cherchant à expliquer l'égalité constatée entre ce qu'on est convenu d'appeler la « masse inertielle » (définie plus haut) et la « masse gravitationnelle » (laquelle quantifie le rôle de la matière dans l'attraction que subissent deux corps – et n'a aucune raison a priori d'être égale à la masse inertielle), en est venu à la conclusion que l'espace (ou plus exactement l'espace-temps, car, dans l'intervalle, il avait été reconnu que la scène du monde est un espace non à trois dimensions, mais à quatre), loin d'être cette structure rigide et indifférente aux choses que représentait l'espace absolu de Newton, est en réalité déterminé par les masses qui s'y trouvent placées. La théorie de la relativité générale, élaborée à partir de cette idée, impose que la métrique, c'est-à-dire la géométrie de l'espace-temps, dépende de la répartition locale de masse. On comprend alors rétrospectivement que l'affirmation selon laquelle le mouvement qui est « comme nul » est celui de translation uniforme n'est pas rigoureusement exacte : certes, en l'absence de masse, la structure géométrique de l'espace-temps est bien celle d'un espace homogène et isotrope dont les géodésiques (lignes de plus grande pente que, selon la relativité générale, suivent les objets) sont des lignes droites. Mais, dès que l'on introduit une masse dans l'espace (et comment étudier autrement le mouvement ?), les géodésiques sont déformées et ne sont plus des droites : le mouvement qui est « comme nul » n'est plus rigoureusement rectiligne uniforme.
Ainsi donc Einstein, avec sa théorie de la relativité générale, parachève-t-il l'œuvre de Newton : désormais la cinématique est dynamique de part en part ; le fossé creusé par Galilée avec l'introduction de la cinématique est comblé.
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Écrit par
- Françoise BALIBAR : physicienne, professeur à l'université de Paris-VII
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