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MOYEN ÂGE L'affirmation des langues vulgaires

Dante et le « vulgaire illustre »

Le travail d'illustration et la réflexion sur la langue occitane et française menés, aux xiie et xiiie siècles, par les troubadours d'oc puis par les trouvères, romanciers et chroniqueurs d'oïl ont exercé une influence décisive sur le développement littéraire des langues vernaculaires dans le reste de l'Europe. Dès la fin du xiie siècle, avec les adaptations courtoises des modèles lyriques et narratifs, la langue vulgaire est le choix des romanciers et des Minnesänger allemands. Au xiiie siècle, les poètes de la péninsule Ibérique adoptent également comme koinè littéraire le dialecte gallégo-portugais tandis que naît en Italie, à la cour de Frédéric II (1220-1250), une poésie régulière en langue nationale, l'école dite « sicilienne ».

Mais c'est à Dante (1265-1321) qu'il a appartenu de définir dans le De vulgari eloquentia et d'illustrer (notamment par les trente et une poésies insérées dans la prose de la Vita Nova) un nouvel idéal poétique et philosophique de l'expression de l'amour auquel il a lié l'appellation de dolce stil novo (Purgatoire, XXIV, 49-63). Selon Dante, ce nouvel « art de rimer » consiste dans l'adéquation parfaite entre le langage poétique et la « dictée » de l'amour (la « sincérité » des troubadours occitans...). Adéquation parfaite dont la réflexion, menée sur le vulgaire illustre dans le De vulgari eloquentia (encore en latin...), théorise et signifie les enjeux et les modalités, tandis que le Banquet (Convivio) jette les fondements de la prose philosophique et scientifique en italien.

Le projet du De vulgari eloquentia, traité du bien dire en langue vulgaire selon la définition proposée par Dante, est sans doute de défendre le choix de cette langue sous les espèces du vulgaire italien. Dante, cependant, n'assimile le vulgaire italien à aucun des parlers italiens : celui-ci est plutôt conçu, à l'image de l'occitan des troubadours, comme une sorte de langue littéraire composite, « qui appartient à toute ville italienne et n'apparaît le bien propre d'aucune » (I, XVI). Mais ce traité est surtout une méditation sur l'origine et l'être même du langage qui jette dans un second temps les fondements d'une poétique en langue vulgaire, exemplairement illustrée par la cantio, la chanson d'amour. Issues de l'éclatement du langage originel, en châtiment au geste blasphématoire de Babel, les langues vulgaires, et spécialement les trois langues apparentées que sont les langues d'oc, d'oïl et de si (l'ensemble des dialectes propres à l'Italie), laissent encore transparaître l'empreinte du divin. Illustrer le vulgaire italien, en faire une langue normée, c'est donc retrouver, à partir de la langue « maternelle », les traces éparses du langage originel de la communication entre l'homme et Dieu. Cerner l'essence du vulgaire illustre (« celui qui illumine et qui, illuminé, resplendit », I, XVII), c'est montrer aux Italiens dans quelle mesure leur langue maternelle en sa pointe extrême – le dire poétique – a pouvoir de rappeler l'unité perdue du langage adamique.

Texte clé pour l'exégèse de La Divine Comédie, l'Épître XIII (à Cangrande) montre enfin comment le vulgaire italien tel que l'illustre Dante peut être le support et d'une écriture et d'une lecture capables d'inclure les quatre sens définis par la patristique pour la lecture de la Bible : le sens littéral, d'une part, les sens allégorique, moral et anagogique, de l'autre. Le vulgaire illustre devient ainsi, à l'instar du latin, langue du sacré et du livre, une langue autorisée, fondée à dévoiler les mystères divins.

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Écrit par

  • : professeure de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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