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MOYEN ÂGE L'affirmation des langues vulgaires

Des « Arts poétiques » à la « Défense et illustration de la langue française »

Rivalisant avec Dante, Guillaume de Machaut définit dès 1370, en Prologue général à l'édition de ses œuvres, un système poétique où s'équilibrent, sous l'égide d'Amour et de Nature, associée à ses « enfants », Sens, Rhétorique et Musique, le don de l'invention et le travail propre de l'écrivain. À la fin du xive, puis au xve siècle, apparaissent, d'abord en occitan (Leys d'Amors de Guilhem Molinier, dès 1330-1336), puis en français, de véritables traités de rhétorique qui, à la différence des Artes poeticae médio-latins du xiie et du xiiie siècle, énoncent et codifient les règles et les moyens de la production poétique en langue vernaculaire : Art de Dictier d'Eustache Deschamps (1392), Arts de seconde rhétorique du xve siècle, etc. D'une manière plus ambitieuse, Jacques Legrand, dans l'Archiloge Sophie (avant 1400), jette les fondements d'une poétique de la langue vulgaire et d'une théorie de la littérature.

Lorsque Du Bellay publie, un an après l'Art poétique français de Thomas Sébillet, la Défense et illustration (1549), la cause du vulgaire comme langue littéraire et poétique est donc depuis longtemps entendue. Le manifeste repose au reste sur une contradiction : tandis que la première partie exalte les qualités littéraires et esthétiques du français, montre son aptitude à rivaliser dans tous les domaines avec les langues grecque et latine et insiste sur le fait que les Modernes ne sauraient égaler les Anciens dans le maniement de ce qui n'est pas langue maternelle, mais langue péniblement apprise, la seconde partie donne longuement les moyens nécessaires pour enrichir et illustrer ce même français. De fait, l'essentiel du texte est ailleurs, et déjà dans la manière dont il entend, en rupture radicale et souvent injuste avec la tradition médiévale et la poésie marotique, proposer de nouveaux modèles poétiques, redéfinir le statut du poète et de l'orateur ainsi que les multiples fonctions de l'éloquence et de la poésie, qui devient ici forme et moyen par excellence de la connaissance de l'homme et du monde. Un autre axe de réflexion, souligné dès le poème liminaire de Dorat, et qui sous-tend tout l'ouvrage, est le lien qui s'y noue entre défense de la langue et défense de la patrie, le français étant ici présenté comme langue nationale, émanation d'une patrie pour laquelle doit combattre quiconque, écrivain ou lecteur, se dit « amy de la France » (II, XII). Presque au terme du livre (II, VIII), dans un passage au reste repris à Jean Lemaire de Belges, dont la Concorde des deux langages invitait dès 1511 à l'alliance entre les civilisations et les langues françaises et italiennes, Du Bellay « rapatrie » sur le sol français et énonce le mythe d'origine de la poésie en langue vulgaire. Inventée par Bardus V, roi de Gaule, c'est sur le sol français (gaulois) que lui a été conférée sa spécificité – la rime – par rapport aux poésies grecque et latine, et que fut manifesté le pouvoir orphique du lyrisme d'imposer silence à toutes discordes.

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Écrit par

  • : professeure de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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