- 1. Périodisation et corpus
- 2. L'homme qui lit
- 3. L'homme qui lie
- 4. L'homme qui doute
- 5. « Ordo disciplinae »
- 6. Le régime de la question
- 7. Grammaire, logique et théologie
- 8. Où tout devient jeu
- 9. Pansémiotique et théologie
- 10. De la sémiotique à la psychologie
- 11. Le monde comme proposition
- 12. Logique du sens
- 13. La pensée et le mouvement
- 14. La pensée et la lumière
- 15. De la lumière comme métaphore à la lumière comme modèle
- 16. La grande chaîne de la lumière
- 17. « Ex oriente lux »
- 18. Retour à la sémiotique
- 19. Outils conceptuels et langages analytiques : le rôle de l'imaginaire
- 20. Bibliographie
MOYEN ÂGE La pensée médiévale
Une histoire de la pensée du Moyen Âge ne se réduit pas à une histoire de la philosophie médiévale. Il y a à cela divers motifs. Le premier et le plus évident est que la pensée du Moyen Âge est, pour une large part, le fait de théologiens réfléchissant sur leur foi « sous le toit de l'Église ». Le deuxième est que la philosophie n'est qu'un des modes de la pensée, une manière assurément singulière de se rapporter au monde à travers une histoire spécifique aux allures tempérées par ce qui, dans son champ propre, fait pour elle époque ; à travers un langage aussi, aux couches multiples et aux ressources techniques plus ou moins strictement définies par un lexique et des règles de maniement. Il semble aller de soi que les paysans et les chevaliers, les clercs et les copistes du Moyen Âge vivaient dans le même monde : on sait dater des tours de métier, analyser des écritures, isoler des groupes et décrire leurs solidarités. Reste que l'on ne peut faire une histoire de la pensée comme on fait l'histoire de la propriété ecclésiastique. L'idéal voudrait qu'on sût traiter comme une seule chose l'histoire des idées, celle des institutions et celle des mentalités. Il faut, hélas, en rabattre : le genre n'existe pas. Quel type d'histoire faut-il alors risquer ? La réponse est difficile, mais on peut au moins l'esquisser. Il faut d'abord se donner un objet qui, sans être la totalité même, la reflète de multiples façons. Il faut ensuite tenter de décrire ces rencontres et ces croisements sans en excepter ce qui, pour l'œil d'un moderne, pourrait paraître absurde. On part donc ici du postulat qu'il y a une histoire de la pensée au Moyen Âge, qui s'inscrit dans le cadre général d'une histoire des états de la raison ; on pose que les modes de pensée et les techniques intellectuelles d'un groupe social tardif et défini, l'Université médiévale, nous disent quelque chose de l'homme du Moyen Âge quand il est lui-même confronté à la question qui seule nous guide : qu'est-ce que la pensée ou, si l'on préfère, qu'est-ce que la rationalité ? Prise sous cet angle, ce n'est plus tant la pensée qui nous occupe que la pensée aux prises avec elle-même, conquérant progressivement ses objets, ses outils et ses méthodes, bref une pensée qui se pratique à la fois comme genre de vie et comme idéal, comme lien social et trajet individuel. Pour comprendre la pensée médiévale, il faudra donc se demander ici comment on pensait au Moyen Âge, ce qui revient à chercher, d'une part, les conditions matérielles, psychologiques, littéraires et pédagogiques, d'autre part, les langages analytiques et les procédures d'investigation qui ont, à un moment donné de l'histoire, porté et encadré ce que l'on pourrait appeler la vie selon l'esprit. On ne peut évidemment aller ici au détail ; la longueur de la période, même réduite à l'âge des universités, l'interdit ; mais on veut « laisser voir la diversité rebelle » (P. Vignaux) que ne sauraient capter ni une « histoire des problèmes » ni une hagiographie du théorique. On sait que le clerc du Moyen Âge lisait et écrivait : il faut se demander comment il lisait et comment il écrivait. On sait aussi qu'il ne lisait pas ce que nous lisons et n'écrivait pas comme nous écrivons : il faut le dire et, si possible, en montrer l'incidence. Ce n'est pas qu'on veuille ramener ici l'histoire de la pensée à une histoire de la lecture ; on plaide seulement la nécessité d'un dépaysement. Dans un monde de culture textuelle où la voix faisait partie du texte, l'espace littéraire médiéval engendrait des libertés que nous n'oserions plus prendre et subissait des contraintes dont nous sommes parfois affranchis. Avant de dire[...]
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Écrit par
- Alain de LIBERA : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval
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