- 1. Périodisation et corpus
- 2. L'homme qui lit
- 3. L'homme qui lie
- 4. L'homme qui doute
- 5. « Ordo disciplinae »
- 6. Le régime de la question
- 7. Grammaire, logique et théologie
- 8. Où tout devient jeu
- 9. Pansémiotique et théologie
- 10. De la sémiotique à la psychologie
- 11. Le monde comme proposition
- 12. Logique du sens
- 13. La pensée et le mouvement
- 14. La pensée et la lumière
- 15. De la lumière comme métaphore à la lumière comme modèle
- 16. La grande chaîne de la lumière
- 17. « Ex oriente lux »
- 18. Retour à la sémiotique
- 19. Outils conceptuels et langages analytiques : le rôle de l'imaginaire
- 20. Bibliographie
MOYEN ÂGE La pensée médiévale
De la sémiotique à la psychologie
Comme la théorie thomiste de la figura, la théorie ockhamiste des intentiones animae est l'application d'un modèle originairement sémiotique : une intention première est une « occurrence mentale » et un « acte d'intellection signifiant naturellement des choses singulières qui ne sont pas des signes » (res quae non sunt signa) ; une intention seconde (par exemple, un « universel » logique) est « un acte d'intellection signifiant une intention première ». L'intentio prima n'étant pas une chose au sens de la substance, on ne peut l'appeler une chose-signe ; toutefois, c'est bien une chose au sens où, les qualités d'une substance étant de l'« être réel », les intentions premières qui « existent subjectivement dans l'intellect » ne sont pas des « fictions » ou des êtres de raison mais de « vraies qualités » et donc « quelque chose dans l'âme », aliquid in anima. La structure thomasienne res, res-signum, signum se retrouve ainsi sous la forme d'une nouvelle triade res, aliquid (in anima)-signum qui peut se répliquer. À suivre les divers emplois d'un même outil conceptuel, la théorie augustinienne des res et des signa, on voit donc se mettre en place les éléments d'une autre histoire, latente, transversale, dont les continuités et les ruptures sont masquées par les différences des domaines d'application (exégèse, psychologie).
Du même coup, la notion d'« innovation » trouve son vrai sens. La nouveauté ockhamiste est à la fois relative – l'outil, c'est-à-dire la distinction res-signa, existait avant elle et il avait été employé avant elle (comme en témoignent, en théologie, la théorie thomasienne de la figure, en psychologie, la théorie baconienne de la connotation) – et absolue : Ockham est le seul à lui donner un rôle fondateur et quasi universel. En même temps, on voit que l'existence de deux conceptions médiévales du signe, l'une aristotélicienne, l'autre stoïcienne, n'apparaît pas d'emblée si l'on suit la seule découpe des genres littéraires et des périodes. On l'a dit, la plupart des sommes de logique du xiiie siècle réécrivent le corpus aristotélicien ; la section qu'elles consacrent à la sémiotique y est donc toujours modelée sur la problématique de la vox significativa ad placitum esquissée dans le De interpretatione ; la possibilité d'une inférence naturelle est traitée à part dans la théorie du syllogisme rhétorique et sans effet rétroactif sur la sémiotique générale. Pourtant, à la même époque, la doctrine stoïcienne est connue et utilisée dans la théorie thomasienne des figures scripturaires ou dans un essai de théorie du signe qui ne communique pas avec le genre des sommes de logique, le De signis de Bacon, dont l'objectif est de construire une sémantique philosophique du discours théologique.
La coexistence des modèles sémiotiques aristotélicien et augustinien n'apparaît donc que sur le fond d'une histoire des outils conceptuels, qui seule assume l'interaction effective des disciplines et la polyphonie des sources. Réciproquement, par-delà la diversité des contextes d'emploi, on voit se former ce qui va devenir un invariant : une approche linguistique et métalinguistique du réel, liant sémiosis et psychologie. En intégrant la notion de signe naturel, la théorie ockhamiste de la signification ne quitte pas le terrain de l'intentionnalité psychique, de même que, dans sa théorie du sens parabolique, Thomas ne s'écartait pas d'une conception du sens comme acte sensé d'un sujet pensant et parlant ; simplement, le Dieu qui emploie les choses comme signes use de relations qu'il instaure, là où l'homme ne rencontre que des rapports déjà instaurés. Toutefois, dans les deux cas, il n'y a pas de[...]
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Écrit par
- Alain de LIBERA : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval
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