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MOYEN ÂGE La pensée médiévale

De la lumière comme métaphore à la lumière comme modèle

Le thème de la lumière est à ce point essentiel à la pensée médiévale qu'on le retrouve pour ainsi dire partout. La théologie symbolique lui fait une place déterminante, au titre de signe ou de symbole d'un Bien suprême connu par ses effets : pour un théologien, lecteur de Denys, le mot de « lumière », bien que « figuré », nous dit pourtant quelque chose de Dieu, car il convient à Dieu selon la même raison que celui de « Bien ». La « lumière inaccessible qu'habite le Père des lumières » est sa « Bonté paternelle et naturelle » ; c'est par la lumière que le Père illumine toutes choses, qu'il tire tout du néant, qu'il « vivifie les âmes » et « garde les réalités causées dans l'être de sa puissance » ; c'est par la lumière qu'il agit en elles, qu'il est la mesure des existants, la durée continue des êtres (entium aevum) et le nombre des choses. Mais le mot de « lumière » est aussi parole de philosophe : le Livre des causes circule sous le titre de Lumière des lumières et toute la métaphysique émanatiste des Intelligences, où culmine la conception arabe du cosmos intelligible, en fait l'instrument privilégié d'une description du monde où l'ordre des choses n'est que « chute et occultation de la lumière de l'Étant suprême » (ordinem in gradibus entium non facit nisi casus et occubitus a lumine primi entis). Pareille métaphysique a ses lois et ses théorèmes : la lumière en est l'outil par excellence, hiérarchique et hiérarchisant, qui sert d'abord à articuler une pensée de la chute. Dans un monde où tout émane, tout naît dans une ombre qui s'étend. Semper posterius oritur in umbra praecedentis (le dérivé naît toujours dans l'ombre de ce qui le précède), dit l'adage tiré d'Isaac Israeli, ou, comme l'écrira Albert le Grand : « L'inférieur commence là où l'ombre s'empare de la lumière » (Ubi lumen aliquo modo occumbit superioris). On ne peut citer ici tous les textes qui, à partir d'une mise en équation de l'être, de la forme et de la lumière, détaillent l'image du flux, du rayonnement par quoi Dieu, lumière par essence (lux), s'épanche dans le créé, lumière « par participation » (lumen). Foncteur d'un allégorisme universel, métaphore prise à la lettre d'une théologie et d'une métaphysique de la communication divine, toutes deux enracinées dans une certaine lecture de Jacques, I, 17, image régulatrice d'une véritable théologie de l'intellect, la lumière est aussi le principe fondateur de l'esthétique : si tout ce qui est est pour autant qu'il retient, qu'il garde ou préserve en lui quelque chose de la lumière originaire ou « fontale » (lux fontalis), la lumière n'est pas seulement ce qui fait la beauté du monde, elle est la beauté du monde que l'art cherche à capter, à déployer dans un espace social tout entier tendu vers le Principe d'où elle émane. D'un bout à l'autre du Moyen Âge, on cite le mot de Denys : la « beauté n'est rien d'autre que l'accord des choses avec la clarté ». La lumière est formelle, lux formalis ; elle est le maximum de formalité dont la forme soit capable ; elle est la « beauté de toutes les formes » (pulchritudo omnium formarum).

En comparant l'intellect agent à une sorte de lumière, la psychologie d'Aristote était comme originairement destinée à trouver une place aussi prestigieuse qu'équivoque dans cette métaphysique cosmologique tout imprégnée de symbolisme. Pourtant, la tâche de l'historien n'est pas ici de filer une métaphore. Que la plupart des médiévaux aient pensé l'âme, le monde et Dieu dans l'espace de jeu ouvert par la différence de la [...]

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval

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