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MOYEN ÂGE La pensée médiévale

Retour à la sémiotique

On pourrait croire qu'en articulant l'une à l'autre la théorie augustinienne du signe naturel et la notion d'« occurrence mentale » – l'intentio prima porteuse de toute une psychologie intentionnelle –, Guillaume d' Ockham formulait une théorie générale de la signification analogue à la conception baconienne de la connotation liant les uns avec les autres les mots, leurs « espèces » et les « espèces » des choses. Il faut montrer rapidement qu'il n'en est rien et que cette différence a une portée générale. On a vu que, pour Ockham, les mentalia, les « états mentaux » n'étaient pas seulement des « qualités de l'esprit », mais aussi des actes de pensée (actus intelligendi). Il convient maintenant de préciser qu'il y a au Moyen Âge au moins deux manières de définir la présentation d'un objet à l'âme, l'une passive, au terme d'un processus d'assimilation, l'autre active, dans un acte de connaissance intuitive : la première voie est celle de Bacon, la seconde celle d'Ockham. Le fait de partager une même conception sémiotique de la signification naturelle ne permet donc pas d'égaler deux doctrines qui s'opposent, plus profondément, dans leur explication des mécanismes psychologiques même de la connaissance. L'outil conceptuel qu'est le signe naturel n'est pas tout. Même employé par deux penseurs que l'on a souvent comparés, il est à son tour d'un niveau trop général pour laisser voir la diversité des doctrines.

En traitant comme synonymes les mots d'intentio, de species, de similitudo, de phantasma et de forma, en identifiant l'espèce intelligible « abstraite » de l'espèce sensible avec les intentiones d'Avicenne, le vocabulaire de la perspective avec celui de la psychologie, on peut arriver à donner un fondement psychophysiologique à la métaphore aristotélicienne du mouvement d'« illumination » des phantasmata présentés à l'intellect possible. Il ne reste plus qu'à noter le caractère iconique, donc sémiotique, de l'intentio visibilis pour, inscrivant la species ou intentio dans la typologie augustinienne des signes naturels, arriver à une théorie pansémiotique de la représentation. C'est ce que tend à faire Bacon. Après lui, tout le xive siècle discutera dans ce cadre, essentiellement ambigu, de l' intentionnalité, soit pour s'en échapper, soit pour en préciser la nature. Chaque auteur donnera sa version du statut ontologique de l'espèce intentionnelle, c'est-à-dire intelligible ; on se demandera si la vision des sens est reçue médiatement ou immédiatement dans l'intellect (Adam Wodeham, Quaestiones in librum Sententiarum, I, Prol., q. 1, n. 20) ; on développera ou rejettera une théorie de la représentation faisant de la pensée d'un objet cet objet même considéré dans son être intentionnel, c'est-à-dire dans son esse apparens (Pierre d'Auriole), bref son être phénoménal.

C'est cette psychologie intentionnelle, où, quelque rôle qu'elle assigne à l'intellect agent, l'intentionnalité qui sert de base à tout le processus de la connaissance abstractive, reste fondamentalement une passion du sujet – anima non cognoscit rem, nisi speciem eius et formam sibi imprimat, et hoc non potest esse, nisi illa abstrahatur a materia, « l'âme ne peut rien connaître sans s'imprimer à elle-même l'espèce et la forme de la chose, ce qui à son tour suppose que cette espèce ait été séparée de la matière », écrit Bonaventure (In II Sent., d. 17, q. 1, a. 2) –, c'est ce modèle affectif de la pensée que vient renverser la théorie ockhamiste de la connaissance intuitive, qu'elle soit sensible ou intellectuelle, comme acte sériel d'intellection[...]

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval

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