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MOYEN ÂGE La pensée médiévale

Outils conceptuels et langages analytiques : le rôle de l'imaginaire

Telle que l'ont pratiquée les médiévaux, l'approche métalinguistique du monde ne s'est pas limitée à une refonte générale de la théorie de la connaissance ni à une redéfinition du champ, des outils et des méthodes de la psychologie. C'est dans la philosophie de la nature et dans la physique qu'elle a trouvé son principal terrain d'élection. On pouvait s'attendre à ce qu'une approche sémiotique du réel mènerait à une visée de la nature reposant sur une libre manipulation des signes et des hypothèses, bref, que la pansémiosis rencontrerait fatalement une mathésis ; on sait aujourd'hui que la rencontre s'est produite, mais qu'il y a fallu force préparatifs.

L'apparition d'une physique du « calcul », pratiquée par un groupe de philosophes d' Oxford (les Calculatores) dans la seconde moitié du xive siècle, est certainement un des changements les plus importants qui soient intervenus dans l'histoire de la pensée médiévale. Certains historiens y voient sinon exactement l'origine de la science moderne, du moins une nette anticipation de la physique galiléenne. D'autres, plus critiques, y voient une dégradation de la philosophie naturelle en une sémiophysique, qui, née de ce que, dans l'ontologie ockhamiste, la quantité, le mouvement, l'espace et le temps n'ont d'autres objets de référence que les substances et leurs qualités, aboutit à une véritable « méconnaissance des réalités physiques », dégradant l'analyse quantitative des processus réels en une simple analyse logique d'énoncés quantificationnels portant sur les substances et les qualités impliquées dans les changements.

Dans la perspective d'une histoire des techniques de pensée, le problème de l'évaluation de la portée scientifique du calcul ne se pose pas ; il faut en revanche déterminer les conditions qui ont rendu possible une telle pratique. Le phénomène est complexe et touche à tous les aspects de la culture médiévale. Il y a d'abord la place prise par le genre pédagogique et littéraire des sophismata dans la production logique du xive siècle. L'existence, propre à Oxford, de disputes de parvis (in parviso), laissant les étudiants mener aussi loin que possible des jeux de langage que ne borne ni la férule du maître ni l'autorité d'un référent textuel absolu (la Physique d'Aristote), est le second facteur, quasi institutionnel (E. Sylla). Le prodigieux essor d'une technique particulière d' argumentation, le jeu d'« obligation » (les obligationes) est un troisième facteur, purement technique. Enfin, la redéfinition du réel à partir d'une distinction entre possibilités physiques et possibilités logiques, elle-même commandée par différents modèles de compréhension du possible logique – les uns statistiques ou diachroniques, les autres synchroniques ou intensionnels –, est un quatrième facteur, en quoi se rencontrent presque toutes les innovations médiévales dans le domaine de la logique modale (S. Knuuttila). Le calcul n'est pas simplement un produit de l'Université médiévale ; il est lié à une véritable mentalité oxonienne, fruit d'un siècle de techniques pédagogiques et de choix de méthode. Il n'y a pas seulement une vision universitaire du réel, distincte par exemple de la conception monastique du haut Moyen Âge, mais différentes manières universitaires d'être au monde. Un penseur médiéval est toujours situé ; sa pensée demeure l'expression d'un complexe singulier, social autant que technique et conceptuel, où les règles de vie, les genres littéraires et les habitudes d'enseignement définissent chaque fois un champ d'énoncés disponibles. Engagé quasi journellement dans les [...]

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval

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