- 1. Périodisation et corpus
- 2. L'homme qui lit
- 3. L'homme qui lie
- 4. L'homme qui doute
- 5. « Ordo disciplinae »
- 6. Le régime de la question
- 7. Grammaire, logique et théologie
- 8. Où tout devient jeu
- 9. Pansémiotique et théologie
- 10. De la sémiotique à la psychologie
- 11. Le monde comme proposition
- 12. Logique du sens
- 13. La pensée et le mouvement
- 14. La pensée et la lumière
- 15. De la lumière comme métaphore à la lumière comme modèle
- 16. La grande chaîne de la lumière
- 17. « Ex oriente lux »
- 18. Retour à la sémiotique
- 19. Outils conceptuels et langages analytiques : le rôle de l'imaginaire
- 20. Bibliographie
MOYEN ÂGE La pensée médiévale
« Ordo disciplinae »
L'apparition d'une science médiévale de l'interprétation est réglée par un certain nombre de transformations qui, à partir des années 1150, font passer le discours de l'assimilation des données philosophiques et théologiques de la période tardo-antique à la production de langages, de méthodes et de problèmes nouveaux : au niveau des techniques pédagogiques, le passage de la lectio à la quaestio ; au niveau des genres littéraires, le passage des florilèges et des gloses aux sommes ; au niveau des pratiques épistémologiques, le passage de la defloratio des données authentiques (authentica) à la détermination des solutions magistrales (magistralia). Théologie et philosophie suivent ici le même trajet, fruit d'une même volonté de réorganisation ou de redistribution de leurs corpus respectifs. En théologie, la méthode pédagogique et le genre littéraire de la quaestio donnent naissance à la littérature des Sententiae dont le prototype est fourni par les quatre livres des Sentences de Pierre Lombard (1095 ? -1160) ; en philosophie, c'est-à-dire d'abord en logique, le genre littéraire des petites sommes (summulae) propose une véritable refonte de l'Organon.
Face à un corpus livré de manière plus ou moins empirique, le penseur du Moyen Âge cherche l'ordre caché qui va présider à l'articulation conceptuelle d'une pratique scientifique. Il y a un ordre conceptuel de l'Écriture et un ordre conceptuel du corpus aristotelicum : tous deux doivent être produits, travaillés, questionnés, dialectisés. De ce point de vue, l'amorce de ce qui va devenir la méthode scolastique est sans aucun doute le Sic et non (Oui et non) d' Abélard. De prime abord, ce texte n'existe pas comme « texte ». C'est un recueil d'autorités regroupant des passages tirés de la Bible, des Pères de l'Église et des arrêtés conciliaires. Pourtant, tout distingue cette collection d'un simple florilège ou répertoire. La forme de la quaestio s'est imposée à l'ordre des matières : les autorités assemblées se contredisent et appellent un oui ou un non, bref la production d'une dialectique des contenus par la mise en argument de discordances soigneusement établies : non solum diversa sed adversa. L'entrée de la logique aristotélicienne en théologie sous forme de questions naissant à fleur de texte, par affirmation et négation du même, fait de l'exégèse une véritable pratique de la discussion. Le lecteur est devenu acteur ; on ne peut plus lire sans mettre en jeu ce qu'on énonce. Tel que le conçoit Abélard, l'acte de pensée devient ainsi une discipline collective : pour penser, il faut apprendre à « peser le sens des mots » (vocum impositiones pensando), à « distinguer les arguments » (argumentorum discretio) et à « s'engager dans la dispute » (disputationis disciplina).
La généralisation d'un modèle dialectique doté d'une telle puissance d'intelligibilité fait qu'il intègre progressivement toutes les formes littéraires et pédagogiques qu'il a lui-même suscitées. Les Sentences du Lombard, où la matière scripturaire avait trouvé une première forme d'organisation conceptuelle, deviennent elles-mêmes objet de discussion. Dans la période des universités, le genre littéraire du « commentaire sur les Sentences » se substitue à l'explication de la Bible comme paradigme théologique dominant – changement de régime que, quasiment seul au xiiie siècle, Roger Bacon dénoncera comme un des « sept péchés » des études théologiques dans l'université de Paris. Le « commentaire sur les Sentences » suit un programme relativement fixe : « division » du texte ; « exposition », qui dégage les problèmes et pose leurs solutions ; « explication », qui apporte les compléments[...]
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Écrit par
- Alain de LIBERA : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval
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