- 1. Périodisation et corpus
- 2. L'homme qui lit
- 3. L'homme qui lie
- 4. L'homme qui doute
- 5. « Ordo disciplinae »
- 6. Le régime de la question
- 7. Grammaire, logique et théologie
- 8. Où tout devient jeu
- 9. Pansémiotique et théologie
- 10. De la sémiotique à la psychologie
- 11. Le monde comme proposition
- 12. Logique du sens
- 13. La pensée et le mouvement
- 14. La pensée et la lumière
- 15. De la lumière comme métaphore à la lumière comme modèle
- 16. La grande chaîne de la lumière
- 17. « Ex oriente lux »
- 18. Retour à la sémiotique
- 19. Outils conceptuels et langages analytiques : le rôle de l'imaginaire
- 20. Bibliographie
MOYEN ÂGE La pensée médiévale
Le régime de la question
Faites pour la ville et ne se concevant pas sans elle, les écoles de dialectique du xiie siècle ont imposé à la philosophie et à la théologie un mode de réflexion argumentative qui a progressivement supplanté la pédagogie monastique vouée à la seule lectio. La technique de la quaestio est probablement née dans l'Antiquité tardive : les Tusculanes de Cicéron, les Lettres à Lucilius de Sénèque (notamment les lettres 94 et 95) semblent indiquer l'existence de procédures romaines d'argumentation scolaire in utramque partem ; reste que la question médiévale a trouvé ses premiers appuis explicites dans la seule théorie aristotélicienne de la dispute avec sa quadruple distinction entre arguments didactiques, dialectiques, critiques et éristiques. On sait qu'il y a quatre sortes de disputes au sens aristotélicien du terme : la disputatio doctrinalis, procédant des « principes propres à une science donnée et non de ce qui paraît probable au respondens » ; la disputatio dialectica, dont les syllogismes sont formés « à partir de prémisses probables concluant à la contradictoire de la thèse donnée » ; la disputatio temptativa, procédant de prémisses qui « semblent vraies au répondant et que doit nécessairement connaître celui qui se donne pour posséder une science » ; la disputatio sophistica ou litigiosa, procédant de prémisses qui « paraissent probables alors qu'elles ne le sont pas ». La pédagogie médiévale des quaestiones et des disputationes reprend l'essentiel de ces distinctions, mais elle y met sa propre marque en empruntant à chacune ce qu'il lui faut pour construire un certain nombre de modèles d'argumentation, plus ou moins liés à une possibilité de validation empirique.
Dans les années 1050-1150, la théorie des lieux communs s'organise autour d'un petit nombre de topoi centrés sur des relations d'inclusion (a toto, a parte), c'est-à-dire d' implication entre propositions de qualité identique, de coextension (a pari) – bi-implication entre propositions de qualité identique – et d'exclusion (ab oppositis, ab immediate contrariis) – implication ou bi-implication entre propositions de qualité opposée. La relation entre les termes est désignée par l'expression d'habitudo localis, rapport local ou topique lui-même monnayé dans une maxime topique telle que : « Tout ce qui est prédiqué du genre est prédiqué de l'espèce. » Au xiiie siècle, la liste des loci s'agrandit considérablement. Dans le même temps, la notion logique d'habitudo localis se voit développer en une théorie ontologique de l'esse habitudinis ou esse consequentiae, distingué de l'esse in actu ou esse ut nunc, qui introduit un mode d'être (modus essendi) spécifique permettant une interprétation non existentielle de la copule capable d'assurer la vérification d'une proposition indépendamment de toute référence actuelle. Cette innovation logico-sémantique sera âprement discutée ; elle n'en est pas moins l'indice que le mode de raisonnement topique a, dès cette époque, acquis à la fois une consistance conceptuelle et une prédominance pédagogique qui vont faire de lui un des facteurs principaux de la recherche philosophique.
L'art des topiques n'est pas pour autant un simple phénomène scolaire puis universitaire. En un sens, il concerne toute la culture. Si de larges pans de la littérature médiévale consistent dans une description narrative réglée par des maximes d'invention topique permettant d'attribuer un certain nombre de traits (argumenta) à une personne, une chose ou une action (D. Kelly), des formes littéraires plus fines ou des figures typiques de la situation romanesque reflètent aussi à leur manière la prédominance sociale du modèle de la dispute : c'est le[...]
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Écrit par
- Alain de LIBERA : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval
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