- 1. Périodisation et corpus
- 2. L'homme qui lit
- 3. L'homme qui lie
- 4. L'homme qui doute
- 5. « Ordo disciplinae »
- 6. Le régime de la question
- 7. Grammaire, logique et théologie
- 8. Où tout devient jeu
- 9. Pansémiotique et théologie
- 10. De la sémiotique à la psychologie
- 11. Le monde comme proposition
- 12. Logique du sens
- 13. La pensée et le mouvement
- 14. La pensée et la lumière
- 15. De la lumière comme métaphore à la lumière comme modèle
- 16. La grande chaîne de la lumière
- 17. « Ex oriente lux »
- 18. Retour à la sémiotique
- 19. Outils conceptuels et langages analytiques : le rôle de l'imaginaire
- 20. Bibliographie
MOYEN ÂGE La pensée médiévale
Où tout devient jeu
Forme médiévale de la théorie de la référence, la théorie de la suppositio est souvent réduite à une simple taxinomie. C'est oublier que, même si elle occupe une part notable des sommes de logique, l'analyse des modi supponendi n'a jamais été une fin en soi. Les suppositiones sont un outil analytique, le plus général de tous, un outil fait pour servir. La suppositio est la propriété référentielle d'un terme pris dans un contexte d'assertion dont la forme principale est évidemment la proposition. Bien que certains logiciens réalistes aient, sous le titre de supposition « naturelle », défendu une interprétation de la supposition comme relation sémantique originaire à une extension prépropositionnelle du terme (Pierre d'Espagne, Tractatus, VI, 3), la plupart ont fini par tenir qu'il n'y avait supposition qu'« à l'intérieur d'une proposition » (Ockham, Summa logicae, I, 63). La typologie des modi supponendi est bien connue ; elle couvre toutes les possibilités d'actes de référence : l'emploi autonyme ou suiréférentiel (suppositio materialis), la référence « vague » (suppositio determinata), la quantification universelle (suppositio confusa et distributiva). L'assignation d'un mode de supposition se fait généralement par « exposition », par « descente aux singuliers » ou par inférence. Dire que, dans une proposition universelle affirmative (comme « tout homme est un animal »), le prédicat (« animal ») a nécessairement une suppositio confusa tantum (simplement confuse) signifie indifféremment qu'il n'est pas distribué par le quantificateur universel, que la « force » (vis) ou l'officium dudit quantificateur ne l'« atteint pas » (non includit ; on dirait aujourd'hui qu'il a « petit scope ») ou que sa proposition d'occurrence doit être reformulée en une proposition de prédicat disjoint (« tout homme est cet animal ou cet animal ou... animal ») ; réciproquement, dire que le sujet de la même proposition a une supposition confuse et distributive signifie qu'il est distribué et atteint par le quantificateur ou que cette proposition doit être reformulée en une conjonction de propositions singulières (« cet homme est un animal et cet homme est un animal et... animal »). Cette analyse syntactico-sémantique de la valeur de suppléance des termes, complétée par une batterie de règles interdisant le passage d'un type de supposition à un autre (on ne passe pas d'une supposition déterminée à une confuse et distributive, d'une simplement confuse à une confuse et distributive ni d'une simplement confuse à une déterminée), permet évidemment de maîtriser les principaux mécanismes des fallaciae décrits dans les Réfutations sophistiques d'Aristote ; c'est donc en ce sens un puissant outil de lecture, mais ce n'est pas sa seule fonction. Les suppositiones sont avant tout l'outil de travail de la dispute concrète, et plus spécialement de la disputatio de sophismatibus. C'est l'outil analytique de tous les jeux de langage que l'Université secrète, organise et, progressivement, codifie. En absorbant petit à petit toute l'argumentation topique dans le réseau serré du raisonnement conséquentiel (consequentiae), les logiciens médiévaux se sont donné les moyens d'explorer la logique de la discussion, ses nécessités constitutives et ses paradoxes inévitables. La suppositio a été un des instruments de cette théorisation des divers phénomènes pouvant se produire dans des jeux de langage. La théorie des insolubilia – dont le paradoxe du Menteur (« je dis faux ») est le cas le plus spectaculaire – fait appel à la suppositio : la règle selon laquelle un terme ne peut supposer pour sa proposition d'occurrence, règle qui fonde[...]
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Écrit par
- Alain de LIBERA : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval
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