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MOYEN ÂGE La pensée médiévale

Pansémiotique et théologie

Qu'il soit de logique ou de grammaire, de physique ou de métaphysique, le savoir médiéval est une « pansémiotique » (U. Eco). C'est là la conséquence d'une pratique langagière du monde, mais c'est aussi la marque et l'essence même d'un projet théologique spécifique. Telle que la conçoivent les médiévaux, la théologie a évidemment Dieu pour objet principal ; mais elle a aussi essentiellement affaire aux « choses » (res) et aux « signes » (signa) – une distinction d'Augustin (De doctrina christiana, I, ii, 2) reprise avec insistance par Pierre Lombard (Sententiae, I. dist. 1). La science des choses est la science des réalités créées, en tant qu'« utiles » au salut ; celle des « signes » porte sur les allégories et les symboles, qui sont autant d'appuis (adminiculantia) pour l'œuvre que le Christ et l'Église accomplissent en vue de la béatitude (fruitio Dei). Le statut théologique du signe inscrit la théologie dans une perspective sémiotique qui la fait naturellement communiquer avec la sémantique philosophique élaborée par les logiciens lecteurs d'Aristote ; il y a, toutefois, une spécificité du signe théologique qui tient à la nature même de son instituteur. En tant qu'auteur ultime de l'Écriture, Dieu peut, pour signifier quelque chose, employer des mots ; mais, contrairement à l'homme, il peut aussi employer « les choses elles-mêmes ». Pour Thomas d'Aquin, c'est sur ce pouvoir d'utiliser les « choses signifiées » comme « signes » de plein exercice que se fonde la singularité de la sémiotique théologique : « Alors que, dans toutes les sciences, les mots ont valeur significative, la théologie a en propre que les choses mêmes signifiées par les mots employés signifient à leur tour quelque chose » (Summa theologiae, Ia pars, q. i, a. 10). La première signification, « celle par laquelle les mots signifient certaines choses », correspond au premier sens de l'Écriture, qui est le sens historique ou « littéral » ; « l'autre signification, par laquelle les choses signifiées par les mots de nouveau signifient d'autres choses, est ce qu'on appelle le sens spirituel ». Le sens spirituel est donc fondé sur le sens littéral et le présuppose, avant d'être lui-même subdivisé – conformément à la doctrine des « quatre sens de l' Écriture » (H. de Lubac) – en sens allégorique (les choses de l'« ancienne loi » signifient celles de la loi nouvelle), moral (les choses réalisées dans le Christ ou dans ce qui signifie le Christ sont le signe de ce que l'on doit faire) et anagogique (certaines « choses » signifient la « gloire » à venir).

Le cas particulier du sens « parabolique » illustre bien le type de sémiotique pratiqué par les théologiens. Étant donné qu'un mot peut être employé au sens propre ou au sens figuré, la parabole nous offre, en effet, un cas exemplaire de signification littérale où, le signifié immédiat d'une vox étant lui-même en fonction de signe, c'est seulement le signifié de ce signe et non le signe lui-même qui constitue le sens littéral de l'énoncé qui le contient. En d'autres termes, le signifié littéral d'une figuration n'est pas la figure elle-même, mais ce qu'elle figure (nec est litteralis sensus ipsa figura, sed id quod est figuratum). Qu'il y ait des signes de choses et des signes de signes est un lieu commun de la pensée tardo-antique, qui fonde toute réflexion métalinguistique sur le langage : dans la tradition boécienne issue de Porphyre, les termes techniques du logicien ou du grammairien sont considérés comme des expressions de « seconde imposition », des « noms de noms » (nomina nominum) marquant une possibilité interne au[...]

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval

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